Le premier album studio des DUBLINERS est presque aussi important que leur premier album live, d'abord car il marque le retour définitif de Luke Perry (déjà présent sur le disque concert publié précédemment, leur troisième consécutif alors), ensuite parce qu'il assoit la réputation du groupe comme chef de file d'un mouvement folk qui dépasse largement les frontières de l'Irlande. A Drop of the Hard Stuff (1967, renommé Seven Drunken Nights par la suite) se trouve bien placé dans les charts britanniques pendant trois bons trimestres.

Un groupe fervent défenseur de la bière ingurgitée par litres et aussi à l'aise dans l'ambiance d'un pub peut-il convaincre lorsqu'il se trouve dans un autre milieu, plus propre, sans applaudissements et où il est moins permis de se tromper ? La réponse est oui, au moins pour ce disque qui reste parmi les meilleurs du genre. Après avoir été chez Transatlantic, c'est le début de leur période Major Minor, label pour lequel ils publient deux albums par an entre 1967 et 1970, sans compter les live.

C'est un classique qui porte l'album, la chanson "Seven Drunken Nights", tirée du folklore irlandais comme quasiment toutes les autres ici, venue d'Ecosse cependant et qui à la base s'appelait "Our Goodman". Une des prestations les plus mémorables de Ronnie Drew qui incarne un mari ivrogne ("as drunk as drunk could be"...) et qui tous les soirs de la semaine rend visite à sa femme en train de le tromper avec un autre.

Un tel sujet, dans la musique populaire, est traité de deux façons : soit sérieuse et sanglante, soit légère et cocasse. C'est ce dernier ton qui prévaut ici. Le refrain demeure festif et le titre s'ancre en tête, si bien que, plus tard et par simple volonté commerciale, il devient celui de l'album.

Des classiques, il y en a d'autres : "The Galway Races" (dédiée à la plus célèbre des courses hippiques d'Irlande) et "The Rising of the Moon" qui seront repris par de nombreux groupes d'obédience celte par la suite, en Irlande comme en Bretagne, TRI YANN ou POGUES. Le banjo de McKenna et le violon de Sheahan sont un soutien sans faille à la voix de Luke Kelly qui a légèrement mûri en trois ans. Les choeurs d'ensemble forment un tout vaillant, difficile d'y résister !

À savoir que "The Rising of the Moon" mentionne les conflits historiques de l'Irlande avec l'armée anglaise et que nous ne sommes qu'à quelques mois du début de la longue odyssée de la verte île aux légendes, avec ses oppositions politiques intérieures violentes. Les DUBLINERS ne sont pas dans la mouvance d'artistes défendant de façon ouverte un point de vue qui définit leur oeuvre. De leurs dires, et même si plusieurs chansons de ce disque sont devenues ensuite populaires au sein de l'IRA, la sélection s'est faite indépendamment de tels faits et cela n'a point empêché le succès en Angleterre.

Les reels instrumentaux du "Colonel Fraser & O'Rourke" ainsi que "Fairmoye Lasses & Sporting Paddy" prouvent que le groupe a raison de continuer dans ce sens, même pour une part réduite au milieu des chansons. Les chansons à boire ("I'm a Rover") succèdent aux romances, "McCafferty", "Weila Waile" qui est une comptine à la base mais qui mentionne bel et bien ici le meurtre d'une demoiselle avec une certaine crudité. Ronnie Drew y fait traîner sa voix de façon caractéristique, tandis que "The Limerick Rake" met davantage en lumière Ciarán Bourke et ses aspirations gaéliques populaires au chant.

Dernier coup de coeur : "Paddy on the Railway" à l'arpège de banjo très "harpistique", sur lequel se pose la voix de Luke Kelly avec beauté, avant une suite orientée bluegrass. En studio, la quintessence des DUBLINERS est là, comme sur le premier live de 1964 !