A l’heure où l’état ne cesse de nous claironner que le tabac est mauvais pour la santé (tout le monde sait, même les fumeurs invétérés) alors que les taxes lui rapportent environ 16 milliards d’euros, cherchez l’erreur, cette pochette est susceptible de nous ramener en arrière, à l’époque où les paquets de clopes avaient une identité propre avec leurs logos. Après avoir placé des messages dissuasifs sur nos paquets, l’industrie du tabac est passée au paquet neutre. Désormais, ils se ressemblent tous, hormis le nom du fabriquant. Il paraît que c’est bien pour la santé et que les fumeurs seront moins nombreux. L’industrie du tabac et les états ont réussi là un tour de force remarquable, la composition et les différents additifs n’apparaissent plus sur ces paquets.

On ne reviendra pas sur le parcours de Bob SEGER (voir la chronique Against The Wind), mais la pochette de son second disque sous son nom nous renvoie tout de même à une période plus légère où les libertés étaient, quoiqu’on en dise, plus grandes. Mais c’est là un autre débat !

Nous sommes donc en 1972 et Bob SEGER après plusieurs échecs commerciaux s’est retiré de la grande scène pour se produire dans le circuit des collèges et des Universités. Juste un an plus tôt, il s’occupait des percussions sur "Shunk", titre figurant dans l’album High Time de MC 5. Cette pochette lorgnant sur le logo Lucky Strike peut étonner avec la mention O.P.’S., locution qui renvoie vers Others Persons, expression argotique du Middle West désignant les étrangers, mais qui fait aussi référence aux pique-assiettes, ceux qui ont pour habitude de taper des clopes, de fumer celles des autres.

"Smokin’ P.P.’S" s’articule autour d’une coloration aux touches Blues-Rock et Rock et de la voix éraillée du chanteur. Bob SEGER nous délivre un disque moins personnel, se contentant de deux compositions placées en fin de disques, les deux pistes les plus courtes en termes de durée. Suite à l’échec commercial de "Brand New Morning", un disque acoustique publié par Capitol, SEGER est embauché par Palladium Records et retrouve Edward « Punch » Andrews son fidèle producteur. Andrews a plus d’une corde à son arc. S’il a brièvement collaboré avec Brownsville Station autre groupe du Michigan, il dispose d’une antenne chez Reprise Records, le label de SINATRA et Dean MARTIN. "Punch" Andrews dirige le label Palladium, plus ou moins filiale de Reprise. D’ailleurs, sur le logo orange du label figure également le R de la firme Reprise. Sur les rondelles des différents pressages européens (français, allemand et anglais) c’est bel et bien le bateau à aunes, emblème de Reprise Records, qui figure en haut de l’étiquette.

L’album s’ouvre superbement avec "Bo Diddley", standard du guitariste du même nom, auteur du fameux diddley beat. Si le titre a connu bon nombre de bonnes reprises (Buddy HOLLY, Ronnie HAWKINS ou bien Billy Lee RILEY dans une orientation Blues Garage), là on plonge carrément dans une sonorité proche du Gros Son 70’s. L’orgue de Skipe Knape instaure une ambiance ambigüe, allant du crépusculaire comme on en entend dans les églises baptistes tandis que les claviers rappellent le son des productions FAME de Muscle Shoals. Les diverses percussions influent une tension constante et SEGER a la bonne idée d’incorporer aux deux tiers du morceau un passage emprunté à "Who Do You Love ?", autre grand classique de Bo DIDDLEY. Résultat : six minutes de transe hypnotique. Seconde bonne pioche avec "Love The One You’re With", un Folk-Rock de Stephen STILLS. Si le titre a connu de belles covers via CROSBY, STILL, NASH & YOUNG ou The ISLEY BROTHERS, SEGER en délivre ici une interprétation d’excellente facture. La voix stridente de Pam Todd (future membre de Love Exchange) se révèle un parfait contrepoids à la voix grave et rauque du leader, alors que les guitares apportent une touche Funk plus dansante que l’original. Les multiples percussions impriment une cadence festive dont on ressort lessivé.
Après deux morceaux d’enfer, le bon Bob laisse retomber la tension avec "If I Was A Carpenter", hit Folk du regretté Tim Hardin. On ne compte plus les reprises du standard, souvent bouffies et peu utiles. Hormis les essais totalement différents de CHICKEN SHACK et Lee DORSEY, de nombreux artistes se sont cassé les dents dessus et, la partie orgue mise à part, Bob n’échappe pas à la règle. Le titre adapté par Long Chris, sera aussitôt chanté par Johnny HALLYDAY avec "Si j’étais charpentier", titre sonnant aujourd’hui aussi vieillot que gentillet. Oeuvre de Leon Russell popularisée par B.B KING à travers plusieurs duos, "Hummingbird" s’avère tout juste convaincant, le chant de SEGER trop strident part trop souvent en vrille et le fameux son de guitare de B.B KING n’est jamais remplacé ici.
Le disque reprend de la voilure avec "Let It Rock", le classique de Chuck BERRY rarement repris au bout du compte. Là, la troupe nous délivre une version n’ayant rien à envier à celles des SHADOWS OF THE KINGHT, des STONES ou de Mitch RYDER, mais l’original demeure toujours notre favori. Grand succès de Bobby BLAND, "Turn On Your Love Light" a fait l’objet d’excellentes reprises : on se souvient des versions Blues Garage de THEM et de HUMAN BEINZ, de celles plus groovy des BLUES BROTHERS, GOV’T MULE ou Gregg ALLMAN. Là, ce sont encore les claviers et les percussions qui se taillent la plus grosse part du gâteau avec un chanteur bien concerné.
Figure du Far West, le voleur de train Jesse James a contribué à maintenir certaines légendes urbaines. Son lâche assassinat lui a permis d’acquérir une notoriété et une énorme sympathie auprès de l’Américain lambda (surtout sudiste). A peine enterré, son personnage apparaît dans le Folklore américain via une chanson de Billy Gashade. "Jesse James", enregistré dès les années 20 par Bentley Ball, tombe bientôt dans la besace du registre Old Time avant de devenir un incontournable du Folk et du Bluegrass. S’il rend hommage au célèbre bandit vu comme une sorte de Robin Des Bois, SEGER nous propose une version plus Rock que les nombreuses versions antérieures.
Ce sont donc deux compositions qui viennent conclure le disque ; "Someday" s’apparente à une ballade piano et corde pouvant figurer dans un disque d’Elton JOHN ou Billy Joel. Un titre triste faisant office de remplissage. "Heavy Music" est en fait un ancien titre de l’époque Bob Seger & The Last Heard publié en single par Cameo en 1967, un titre bien groovy qui s’inspire fortement de la Soul de Detroit. Bob reprendra le titre dans une version Live et rallongée dans l’album Live Bullet.

Si trois titres paraissent aujourd’hui plus faiblards et si le disque emmagasine 85% de reprises, il préfigure ce qui allait devenir deux ans plus tard Bob Seger & The Silver Bullet. Excellent chanteur à la voix puissante et éraillée, SEGER se montre ici à son aise sur diverses teintes allant de Blues-Rock à la Soul et tisse un excellent patchwork souvent bien groovy et dansant. On regrette juste la prédominance des claviers, on aurait apprécié quelques solos supplémentaires de guitares plus limpides et incisifs. Un disque sous-estimé par le public européen. Signalons la présence de quelques accompagnateurs issus des Funk Brothers, un gage de qualité. Figure légendaire du Rock de Detroit, gros vendeur de disque, Bob SEGER a assommé le public parisien lors d’un concert à l’Hippodrome en novembre 80 (j’y étais !).

Note réelle 3,5.