Alors qu’une période blanche de neuf ans s’est écoulée entre ses deux derniers disques, Jimmie VAUGHAN remet presque aussitôt le couvert. Le guitariste n’est pas resté inactif : il s’est produit sur tout le territoire, a fait plusieurs apparitions en Europe et s’est marié avec à la clef deux merveilleuses jumelles. Jimmie a également collaboré à plusieurs albums (Lazy LESTER et Omar Kent Dykes). Après le succès de "Plays Blues, Ballads & Favorite", le guitariste nous revient en pleine forme avec ce second volet enregistré comme le précédent au Top Hat Studio d’Austin.
Si la pochette indique la présence de la somptueuse Lou Ann BARTON, signalons qu’elle n’est présente que sur quatre des seize pistes de l’album. En examinant la pochette, on se dit qu’il y a comme une continuité avec ce second chapitre, le titre du disque demeurant presque inchangé, n’étant agrémenté que du mot More. Idem des vêtements, la photo cette fois sous un fond verdâtre représente le guitariste dans la même tenue que sur le disque précédent. Si cela permet de retracer une liaison, comme un fil conducteur entre les deux recueils, on se dit que l’anglais Adam Yeldham aurait pu proposer une autre photo, le procédé donne l’impression qu’on a essayé d’économiser deux ronds de serviette pour pas grand-chose au bout du compte. On note cependant que la pochette du vinyle diffère de celle du CD où Lou Ann Barton figure aux côtés du guitariste et non pas en haut à gauche. Autre remarque, il ne nous semblait pas superflu d’indiquer la mention Mono sur la pochette du recueil (vinyle ou CD).

En ouverture, VAUGHAN reprend "I Ain’t Never", un hillbilly coécrit par Webb PIERCE et Mel Tillis. D’entrée, la guitare s’écarte de toute coloration Country pour aborder un contour proche du R&B West Coast. Si les amateurs d’Hillbilly classique regretteront probablement cette frasque, avouons que VAUGHAN dépoussière totalement le titre pour nous offrir une interprétation de haut calibre. Selon nous, la meilleure reprise avec celle des Hollandais de Shocking Blue. Jimmie VAUGHAN s’autorise une autre incursion dans le monde du Hillbilly : "I Hang My Head And Cry", une vieillerie de Gene AUTRY remontant à Mathusalem, délivrée sous la forme d’un R&B West Coast inspiré par la version d’Arthur Alexander.

Bel hommage à Bobby Charles avec "No Use Knocking", un inusité gravé par l’icône du Swamp Rock au milieu des fifties. L’apport de Lou Ann Barton apporte un plus incontestable, alors que musicalement on se croirait revenu soixante ans en arrière. Même impression avec "Teardrop Blues", une ballade de Jimmy Liggins enregistrée pour le label Specialty à la fin des années quarante. Si les cuivres impriment une cadence pleine de lenteur, le guitariste nous gratifie de quelques solos aussi dévastateurs que brefs. Autre obscurité avec "It’s Been A Long Time", un Jump Blues popularisé par Annie Laurie, dont les solos de guitare nous transportent encore au cœur d’un club enfumé issu d’une période révolue. Second emprunt à l’ancienne chanteuse de Paul Gayten avec "I’m In Mood For You" ⃰ dans lequel Lou Ann Barton s’investit avec une plus grande conviction. Petit détour par la case Louisiane avec "Breaking Up Is Hard To Do", une ballade de Jivin’ Gene & The Jokers (alias Gene Bourgeois). Si la chanson fut reprise par Bruce CHANNEL, c’est à une ambiance New Orleans à laquelle nous convie cette fois-ci Lou Ann Barton, un titre où la guitare se révèle encore flamboyante. Autre obscurité avec "What Makes You So Tough", un blues lent du pianiste Teddy Humphries qui nous renvoie encore une fois longtemps en arrière avec une guitare qui touche sa cible à chaque note.
Petit interlude instrumental avec "Greenbacks", œuvre du trompettiste Renald Richard enregistrée par Ray CHARLES. Ici Jimmie délaisse les paroles pour nous offrir une petite coupure à l’image de certains entractes. Second clin d’œil à Bobby Charles avec "I Ain’t Gonna Do You No More", une variante pleine de vitamines de "I Ain’t Gonna Love You No More", titre issu d’un single Chess. "Cried Like A Baby", un inusité de Nappy Brown, se situe à la lisière du Blues et du R&B, la guitare tisse ici une forte intensité dramatique tandis que les cuivres mènent un train de sénateur. Si Koko TAYLOR en offrait une bonne reprise, celle-ci se révèle beaucoup plus vintage. Création de Lloyd PRICE "Oh, Oh, Oh" se retrouve gommée de toutes ses effluves New Orleans, au profit d’une orientation West Coast nous ramenant à l’époque glorieuse où le Jump régnait en maître. "I’m A Love You" de Jimmy REED marque une légère rupture avec le ton général de l’ensemble, les cuivres disparaissent de la circulation au profit de l’orgue de Bill Willis♠. Retour au cœur de la Crescent City avec "The Rains Came", une ballade sucre d’orge de Big Sambo & The House Wreckers ° dans laquelle apparaissent l’organiste Mike Flanigan et le trompettiste Ephraim Owens. Excellente reprise de "Bad Bad Whiskey", grand succès du pianiste Amos MILBURN, auteur de mémorables odes alcooliques. Si Jimmie avait repris ce titre quinze ans plus tôt avec Al Copley, il en délivre cette fois une version plus limpide. Enregistré en Live lors d’un show au Grammy Museum de Los Angeles, "Shake A Hand" termine le disque en fanfare, le timbre de Lou Ann Barton se fait plus sexy. Popularisé à l’orée des fifties par Faye Adams, cette poignée de main sera serrée de nombreuses fois. Red Foley et son futur gendre Pat BOONE reprendront le titre dans des versions Country sans saveur avant que le KING le remette à son répertoire. Plus tard, Paul McCARTNEY en fera une version Pop Rock perdant, selon nous, une grande partie de son essence. Si nous nous permettons de recommander les versions de Marva Wright et Diunna Greenleaf, la présente version nous paraît spontanée et pleine de sincérité.
Ce disque enregistré dans la foulée du précédent constitue une suite cohérente avec la trame de son prédécesseur. Jimmie VAUGHAN va à l’essentiel et ne se perd pas dans des solos inutiles, à contrario de nombreux guitaristes contemporains adeptes de cascades de notes finissant souvent par une indigestion. Afin d’être complet, signalons que le disque publié par Proper Records sous forme de double vinyle et de CD comporte seize titres, les deux derniers faisant office de bonus, pratique en vogue depuis quelques années. Shout Factory a réédité le disque la même année sans les deux dernières pistes. Le visuel proposé provient de la jaquette du CD Proper, objet plus connu et plus vendu.

⃰ Titre Homonyme à celui de Dr. Feelgood.
♠ Bill Willis ne participe qu’à un unique titre, l'organiste étant convié à rejoindre le paradis dès le début de la session.
°Derrière le nom de Big Sambo, se cache le chanteur saxophoniste James Young.