Parfois, parler d'un album plusieurs années après sa sortie n'est pas une mauvaise chose. Regardez donc Life in Cartoon Motion de MIKA, par exemple. Si je l'avais chroniqué au moment de sa sortie, c'est-à-dire en 2007, la probabilité de le voir démoli par mes soins n'aurait peut-être pas été négligeable tant la diffusion en boucle de ses tubes m'horripilait – ça, et le fait que j'étais alors un jeune connard qui ne jurait que par VANGELIS et Jean-Michel JARRE. Avec le recul, on peut se dégager de (presque) tous les facteurs alors contemporains et mieux apprécier ce disque.

Pour se centrer sur l'essentiel, Life in Cartoon Motion est donc le premier album de MIKA, jeune chanteur anglais mais d'origine libanaise et lié à la culture francophone (ce qui a débouché entre autres sur un poste de jury dans The Voice sur TF1 mais passons). Côté storytelling, on nage dans le cas d'école de l'artiste qui a proposé ses chansons à moult maisons de disques qui l'ont envoyé bouler avant de finalement tomber sur la bonne à force d'acharnement ; en revanche, son orientation sexuelle est a priori écartée. Enfin, quoique... quand Mika présente son univers musical influencé entre autres par QUEEN et Elton JOHN, et que sa voix elle-même présente certaines ressemblances malgré une personnalité propre, d'aucuns ont vite fait de tirer des conclusions hâtives et basées sur des préjugés, mais qui parfois se révèlent vraies.

Assez jacté sur les à-côtés, parlons musique. Life in Cartoon Motion est un album de pop aux singles qui ont connu la gloire des ondes radios. Étrangement, je n'ai pas tant entendu que ça, à l'époque, le single par lequel tout a commencé, "Grace Kelly". Une chanson qui permet d'établir de manière directe et claire l'univers de MIKA, follement pop et bariolé, avec cette voix maniant le difficile équilibre entre l'admiration et l'irritation. Il y a aussi ce petit quelque chose anglais, qui rend la pop de l'ennemi anglois si irrésistible. Mais le vrai grand tube reste de loin "Relax, Take it easy". Est-ce parce qu'il reprend des mélodies de la tuerie eighties "(I just) died in your arms" de Cutting Crew – ainsi que le "Spacer" de SHEILA [1] ? Sans aucun doute. Ceci étant, MIKA parvient à faire un vrai travail de remixer et offre ainsi une nouvelle œuvre tout aussi poignante et dansante à la fois, avec en plus de belles paroles. Dans un registre plus festif, l'hymne aux grosses "Big Girl (You are beautiful)" possède un côté fédérateur qui a l'avantage de ne pas être trop mielleux et naïf. "Lollipop" et "Love Today", quant à eux, sont tout aussi originaux et fort intéressants à écouter, mais ont moins marqué leur temps, la faute à un manque d'accroche définitive, certainement. "Happy Ending", enfin, semble être passé inaperçu par rapport à ses frères, mais elle n'en reste pas moins une ballade tendre et émouvant.

Comme souvent, dans ce genre d'album, les singles font la loi. Et comme souvent, on aime à imaginer que le reste est au moins aussi bien voire mieux. Il faut ainsi avouer que "Any other World" aurait pu faire un bon single, tant le côté triste et poignant, bien que racoleur, de cette ballade marche sur des roulettes ; peut-être aurait-il formé un doublon par rapport à "Happy Ending" ? "Billy Brown" aborde pour sa part une histoire de relation homosexuelle, dans un esprit « Beatles pop » convaincant mais pas transcendant, et "My Interpretation" fait clairement du remplissage tant elle sonne trop pop US générique. Par contre, cela n'engage que moi, mais "Over my Shoulder", le morceau caché de l'album, fait un peu penser à du RADIOHEAD, surtout dans le chant proche de Thom Yorke. Est-ce une coïncidence, une impression correcte, ou mes oreilles qui ne fonctionnent plus ? Dans tous les cas, c'est pas le genre de morceau à écouter en boucle tant sa tristesse tranche avec les autres chansons.

Life in Cartoon Motion n'a pas volé son succès et de loin. Avec cet opus, MIKA a pu marquer d'une pierre blanche sa véritable entrée dans les hautes sphères de la musique, avec une musique qui lui est propre et inspirée. Il n'y a certes pas de quoi se lever la nuit de manière systématique, mais parfois, il faut simplement reconnaître le talent là où il est. Et en 2007, il prenait le thé avec MIKA, pour qui se posait la question : pourra-t-il faire aussi bien voire mieux pour le prochain album ? C'était ce qu'on espérait, oui.

Note réelle : 3,5/5

[1] : assurément l'une des plus grandes heures de gloire de la chanson française (non)