La seconde partie des années 60 a été pour les BEE GEES une période de succès commerciaux et d’intenses tournées. A tel point que, même s’ils viennent de sortir ce qui est souvent considéré comme leur sommet artistique, l’album Odessa, des tensions surgissent au sein du groupe. Robin Gibb a de plus en plus de mal à accepter de rester au second plan au profit de Barry présenté comme l’atout 'charme' du groupe. Début 1969, suite à un conflit lié au choix du premier single de Odessa (c'est "First of May", chantée par Barry, qui est retenu au détriment de "Lamplight" chanté par Robin), il quitte le groupe pour entamer une carrière solo, et se voit remplacé temporairement par sa sœur aînée, Lesley Evans.

Barry et Maurice enregistrent alors l'album Cucumber Castle, puis, suivant l’exemple de leur frère, réalisent chacun un album solo, qui ne sera pas commercialisé. Mais la carrière solo de Robin peine à décoller et en juin 1970 le trio se reforme pour sortir Cucumber Taste, un album orienté Pop Country, puis 2 Years On. Sans être anecdotiques, ces deux albums souffrent de leur positionnement, coincés entre les magnifiques Odessa et Trafalgar. Mais il faut dire que les BEE GEES sont particulièrement actifs. Songez que, durant cette courte période allant de septembre 1968 à septembre 1971, ils ont sorti six albums sous leur nom, tout en réalisant chacun un album solo ! Soit une moyenne de un album tous les quatre mois ! Cette luxuriance dans leur production est une constante du groupe : au décès de Robin (2012) et Maurice (2003), on considérait que les frères Gibb avaient composé plus de mille trente chansons.

Trafalgar est un sublime album qui propose une pop extrêmement mélodique, mais s’aventure parfois dans des ambiances mélancoliques, voire dramatiques, le tout enrichi d’harmonies vocales de toute beauté. Ces dernières font fréquemment penser aux BEATLES, une des influences majeures du groupe. Pourtant, cette proximité tant à être moins prégnante. C’est essentiellement le cas avec les vocaux de "It’s Just the Way", et certains passages de "Somebody Stop the Music" qui évoquent encore la fascination qu’exerçait les BEATLES sur les frères Gibb. On peut également remarquer que la photo à l’intérieur du vinyle montre le groupe en redingotes courtes qui font furieusement penser au style vestimentaire popularisé par les BEATLES à l’époque de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (1967). Ce qui n’est peut-être qu’une coïncidence troublante, car il s’agit d’une tentative de reproduire la scène du décès de l’Amiral Nelson.

Nous sommes là très loin de l’image qui colle au groupe suite au colossal succès rencontré par celui-ci avec Children of the World (1976), Here at Last... Bee Gees... Live et surtout la musique du film Saturday Night Fever. Et qui fait des BEE GEES un groupe Disco.
Le chant, que se partagent Robin, Barry et Maurice (qui assure également la quasi-totalité des instruments) est une des caractéristiques fortes de ce disque. Les harmonies sont ciselées à la perfection et chacun des trois frères apporte sa personnalité et sa particularité vocale. Maurice se charge plus particulièrement des harmonies hautes ou basses, Barry chante en solo avec sa voix classique (il n’a alors pas encore développé sa voix de Falsetto), alors que Robin donne plutôt dans le vibrato aérien.

Les pièces d’orfèvre sont nombreuses, à commencer par "How Can You Mend a Broken Heart", le single. Le délicat "Israel", le fantastique "It’s just The Way", "Trafalgar", "Lion in Winter", "Don't Wanna Live Inside Myself"... autant de titres marquants. On peut également mettre en avant le superbe "When Do I", plus sombre et fascinant, dans lequel Robin utilise une voix basse et tremblante, pour ensuite rebondir avec un chant limpide. On retrouve un peu de cette recette dans le plus triste et tragique "Dearest" ou alors dans le plus grandiloquent "Walking Back to Waterloo" qui, comme "Trafalgar", perpétue la tradition du groupe de pondre des morceaux aux titre et aux paroles mystérieux abordant (du moins en donnant le sentiment) des faits historiques. Ainsi que "The Greatest Man in the World", un morceau très touchant de Barry, qui oscille avec habileté d'une pop aisément accessible à des ambiances envoûtantes versant par moment dans la grandiloquence. Tout au plus pourrait-on considérer "Remembering" comme une redite n’apportant pas grand-chose à l'album.

Mais cela n’est pas en mesure de gâcher la fête. Et il est clair que Trafalgar a tout de la table des lois de la pop mélodique. Une sorte de mètre-étalon ayant sa place non loin des grands classiques des BEATLES. Avec une différence majeure avec ces derniers. Si les BEATLES ont été très largement copiés, imités (comme l’ont été leurs pairs les DOORS et les ROLLING STONES), les BEE GEES, eux, possèdent peu d’émules pour ce qui est de leur période pop. Le seul qui s’y soit frotté est peut-être Terry WINTER qui sort cette même année son premier album majeur. Il faut dire qu’imiter les harmonies vocales des GEE GEES, c’est comme essayer d’imiter celles des BEACH BOYS : ce n’est pas à la portée du premier venu.

Ce très grand disque s'apparente à une leçon de chant.