J’avoue humblement que je suis passé à côté du premier album de Billie EILISH, When We All Fall Asleep, Where Do We Go?, lors de sa sortie. Et bien que celui-ci fut un énorme succès commercial, je ne l'ai découvert que dix-huit mois après sa parution. Pourtant, ce coup d’essai fut un coup de maître,
puisque le disque a été numéro 1 du Billboard 200 (USA) dès sa sortie et qu’il a occupé la première place des charts dans une trentaine de pays. Une razzia phénoménale avec comme point d’orgue, pas moins de 5 récompenses raflées lors des Grammy Awards, début 2020. On peut ajouter comme autre fait de gloire que Billie EILISH est devenue la plus jeune artiste choisie pour interpréter la chanson d'un générique de James Bond : Mourir peut attendre.

Et cela est grandement mérité au regard de la qualité de ce premier essai. Mais c’est peu dire que, dans ces conditions, son second album, co-écrit avec son frère l’acteur et producteur Finneas O'Connell, était plus qu’attendu. Son titre, Happier Than Ever, ("Plus heureuse que jamais") ironise sur ce qui semble être le fond de commerce de la jeune artiste : son mal être adolescent et sa relation complexe avec la célébrité. Elle y raconte comment la tornade de la renommée qui s’est emparée d’elle peut être destructrice et déstructurante. A quel point il est difficile de se construire en tant qu’adulte lorsqu’on est au centre d’un tel ouragan médiatique ("Getting Older"). Pourtant, malgré cette thématique sombre, limite dépressive, la musique est bien plus apaisée que sur son album précédent. Sans aller jusqu’à adopter un optimisme et une luminosité débridés, les sonorités torturées sont ici moins présentes. Au détour d’un "Your Power", on commence même à distinguer quelques timides rayons de soleil.

Billie évolue toujours dans une pop planante et flegmatique portée par des sonorités majoritairement électro et un chant qui dépasse rarement le niveau du murmure, le tout sur des tempos très lents. Rares sont les moments où Billie se permet quelques prudentes excursions vers des univers un peu plus originaux pour elle. C’est toutefois le cas du vaguement chaloupé "Billie Bossa Nova" et du plus sobre "Male Fantasy" qui voit la jeune chanteuse se faire accompagner uniquement par la guitare acoustique de son frère. Mais on est globalement en terrain connue, et c’est cette absence de surprise qui étonne le plus, tant son premier album était original et semblait le fruit d’une artiste capable de s’affranchir des carcans de la mode, et de nous prendre à contre-pied.

Ici, tous les tempi jouent la langueur et la lenteur. Si le résultat est la plupart du temps très heureux, l’album est cependant caractérisé par un défaut de relief, qui le dessert un peu, à tel point que certains titres apparaissent presque ennuyeux de par leur caractère trop prévisible, à l’image de "GOLDWING". Il n’y a guère que "DNA", un titre qui évoque la pression née de l’implacable présence de Paparazzis, qui adopte par moments une rythmique un peu plus pesante et marquée. Ainsi que le final de "Happier Than Ever", avec son chant plus puissant et ses sonorités saturées, qui énergisent un peu le propos de la chanteuse. S’ils partagent une même noirceur, là où son premier album occupait le devant de la scène par ses aspects catchy et puissants, Happier Than Ever fait plus office de musique d’ambiance.

Mais il témoigne que le duo Billie EILISH / Finneas O'Connell est devenu une formidable machine à pondre des morceaux efficaces et possédant une identité qui leur est propre, sans sombrer dans la facilité ou la redite.
D’ailleurs, pour rebondir sur mon édito du 15 juillet, sachez que Billie EILISH est une des artistes à succès actuel qui utilisent le vocabulaire le plus riche. Une étude du moteur de recherche Wordtips indique qu’avec 169 mots uniques pour 1000 mots, elle est a classer parmi les chanteurs les plus 'lettrés'. Mis en parallèle avec un travail évident effectué sur les arrangements, cela tend à confirmer que le duo adopte une démarche exigeante et ne se contente pas de reproposer ce qui lui a déjà apporté le succès. Bien que très légèrement décevant, essentiellement du fait d’une trop forte homogénéité des tempi, Happier Than Ever n'en reste pas moins un très bon album, facile d’accès.