On est maintenant en 1973, Betty WRIGHT doit confirmer son précédent carton avec l’intemporel et imparable "Clean Up Woman", une petite pépite qui s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires. Patron du label Alston, Henry Stone décide qu’il est temps de renvoyer sa chanteuse en studio. Stone a assez de métier pour ne pas brusquer la jeune chanteuse d’à peine vingt ans. Betty ne lorgne pas sur les feux de la rampe, elle continue de poursuivre une vie normale, n’hésite pas à se produire sur les scènes du chitlin’ circuit tout en servant de choriste pour Bill Wyman ou Stephen STILLS. La chanteuse est toutefois capable de faire frémir l’exigeant public de l’Apollo à Harlem.

Cette fois, Betty est placée sous la houlette de trois producteurs ; c’est ainsi qu’elle retrouve Clarence 'Blowfly' Reid et Willie Clarke, les deux auteurs du fameux "Clean Up Woman" mais aussi l’ancien guitariste Steve Alaimo, copropriétaire d’Alston Records, un homme qui connaît bien Betty pour l’avoir épaulée lors de sa période chez Atco.

Hard To Stop porte incontestablement la griffe du tandem Reid/Clarke, auteur de six des dix titres, Betty ayant collaboré à deux d’entre eux. Curieusement à une époque où le machisme régnait en maitre, l’album s’ouvre avec l’un des plus gros hits du mouvement pour la libération des femmes avec "I Am Woman". Composée et interprétée par l’australienne Helen Reddy, la chanson figurait au générique du film Stand Up And Be Counted, avec Jacqueline Bisset, Stella Stevens et Hector Elizondo. Le titre qui passe inaperçu connaît un fulgurant succès par le biais d’une seconde version enregistrée par Helen Reddy un an plus tard, en mai 72. Tous les aspects Country Folk Pop de la version d’origine sont gommés au profit d’une coloration influencée par la Soul floridienne. Le titre se voit repris plus tard dans un épisode de la série Sex And The City 2 chanté par Mmes Parker, Davis, Cattrall et Dixon, une version perdant toute sa puissance poétique.

Si ce n’est une légère surenchère de chœurs et de cuivres typiques aux productions d’Henry Stone, "Sweet Wonder" * aurait pu figurer dans un disque d’Ann PEEBLES. Ce titre nous rappelle que Betty WRIGHT a longtemps chanté au sein de la troupe Gospel Echoes Of Joy. Tous les ingrédients de la Soul de Floride avec des rythmes festifs épicés de cuivres et dansants se retrouvent sur plusieurs titres : "The Experts", l’excellent "Gimme Back My Man" sur lequel le jeu de guitare de Willie "Little Beaver" Hale lorgne sur "Clean Up Woman".
A contrario, "Let Me Go Down" se situe dans le domaine de la balade, mais la douceur des arrangements et la participation d’Al KOOPER évitent tout arrière-goût de guimauve. Dans un registre quasi similaire, "Who’ll Be The Fool" vaut par l’expressivité de la chanteuse, la qualité de l’orchestration et la participation à l’écriture d’Harry Casey, le futur C du KC & SUNSHINE BAND.
A l’écoute de "If You Think You've Got Soul", on comprend quel style Gloria Estefan, chanteuse du Miami Sound Machine, a vainement essayé de copier. Mais la sincérité, l’authenticité et l’emprise des chants d’église font toute la différence entre les deux interprètes. Du son d’église, on en retrouve un léger soupçon via l’orgue dans "We The Two Of Us". "The Babysitter", un funk débridé avec son intro entre cartoon et Christmas song, demeure un modèle du genre dans le registre des productions Soul de l’époque.

En fermeture, "It’s Hard To Stop (Doing Something When It's Good To You)" avec ses fragrances de Funk, sa guitare aigüe contrastant avec la rondeur de la basse et des cuivres qui n’ont d’autres but de relancer la machine, à l’image des chœurs dans les psaumes, cristallise une époque avec l’arrivée du Disco, mouvement entériné quelques mois plus tard après la sortie de ce disque par la revue Rolling Stone.

Si le disque ne connaît pas le succès du précédent avec, en ligne de mire, l’incroyable carton de "Clean Up Woman", il reste bien représentatif de la Soul du début des années 70, registre qui allait bientôt être submergé par l’arrivée de la vague Disco. Le répertoire reste cohérent et l'entente entre les différents accompagnateurs saute aux oreilles (à noter que Phillip Wright, ancien équipier de King Curtis, et Jeannette Holloway sont le frère et la sœur de Betty). Seuls trois titres sont édités en singles. Curieusement, "I Am Woman" qui avait tout pour entrer dans les charts ne bénéficie pas d’une promotion via un single. Autre petit inconvénient, la pochette sur laquelle Betty arbore une coiffure de guerrière a peut-être rebuté certains amateurs de Soul. Ce disque à l'orchestration qui échappe aux sordides boîtes à rythmes et autres programming et à une surenchère de violonades met en avant le chant convaincant d’une jeune chanteuse de 19 ans. Cet album a depuis été réédité au format CD. On conseille cependant le vinyle d’origine édité par Alston Records. Une heureuse alternative à "You Are The Sunshine Of My Life" (WONDER), "Break Up To Make Up" (The Stylistics) ou au "Touch Me In The Morning" de Diana ROSS ∆. Betty WRIGHT connaîtra une excellente décennie avec pas moins de 16 best-sellers.

*Titre homonyme à un standard religieux.
∆ Il s’agit là des premiers exemples qui me sont venus à l’esprit. Nul doute qu’il doit y avoir bien pire.