Il y a en France une scène contestataire de qualité qui, héritière des BERUS, considérablement inspirée par RENAUD ou TRUST, a réussi à transposer son propos socialement et politiquement engagé sur des sonorités distordues, quelque part entre rock, punk et metal. LOFOFORA, TAGADA JONES ou NO ONE IS INNOCENT ont, je le confesse volontiers, mes faveurs, mais les grands noms sont multiples et les albums réussis nombreux. Et puis, il y a le groupe breton DARCY, nouveau venu sur cette scène, qui revient aux affaires cinq années après un remarqué premier album. Intitulé « Machines de guerre », au pluriel, ce nouvel album prend des allures d’avertissement. La réalisation est présentée comme un blindé à l’épreuve des balles, un cuirassé indestructible, un obus lancé en direction de ses ennemis. Un côté vindicatif particulièrement véhément, qui dissimule derrière ses cartouches tirées en salve une triste misère créatrice.

Le quartet sonne bien, c’est un fait. Son rock énervé, souvent punk (« Notre hymne », « Solution »), bénéficie d’une mise en son particulièrement puissante et équilibrée, conférant de fait à l’album une force de frappe qui pourra sans aucun doute sonner doux dans les oreilles des amateurs de groupes pratiquant le genre. S’il n’y a pas de surprise, que ce soit dans la construction efficace mais somme toute prévisible des morceaux, ou dans le chant rugueux, parfois volontairement « sali », DARCY sait fabriquer des morceaux qui se tiennent.
Seulement, voilà, le groupe prétend avoir des choses à dire, et c’est là que le bât blesse. Les cibles sont de deux natures : politique (Le Front National, Macron et la clique des politiques-financiers), et policière. L’essentiel de l’album se résume ainsi à une logorrhée à l’encontre de ces deux thèmes, DARCY ne se faisant pas avare en insultes et n’hésitant pas à porter en étendard la faiblesse de son vocabulaire pour brandir son incorruptible drapeau. On peut, tout naturellement, partager les opinions du groupe, mais à aucun moment l’auditeur ne parvient à s’identifier dans ces combats d’un autre temps. D’une part, parce que DARCY semble occulter les problématiques contemporaines, et oublie que les injustices se créent essentiellement par les mesures prises par les gros industriels. Darcy frappe fort, sans relâche, fait sauter des dents et casse des os, mais se bat contre ces mêmes cibles déjà visées dans les années 80 et 90, sans intégrer les enjeux et problématiques contemporains, qui vont bien au-delà du court horizon du groupe sur cet album. Là ou des LOFOFORA et autres NO ONE IS INNOCENT ont réussi à capter le fait que c’est la structure qui pose problème (nommez-la capitalisme, toute puissance financière, utopie de croissance), DARCY semble enfermé dans un petit monde ou dégueuler « On a durci le ton et on a baisé le Front » semble être un motif de satisfaction. Comme si le groupe était toujours en 2002.

Et puis, l’album est plein de formules toutes faites, qui frappent comme un uppercut, mais il manque un récit. Ecoutez-donc « Mort aux cons », le « tube » de TAGADA JONES. Il y a un récit, un socle narratif, qui sert de base à la revendication. Ici, l’injure semble se suffire à elle-même, tant et si bien qu’on a presque parfois l’impression d’écouter un album de rap bas du front. Il y a une faiblesse dans l’écriture qui fait que l’invective ne semble avoir d’autre finalité qu’elle-même, annihilant toute réflexion là où justement on attendrait d’un groupe tel que DARCY qu’il constitue un terrain fertile pour éveiller les consciences. Mais lorsqu’il ne conchie pas le FN de Jean-Marie (eh oui, le groupe en est encore là), le quartet chante à sa gloire (« La Force », « Notre Hymne »), non pas avec un second degré sympathique comme le ferait n’importe quel groupe de heavy metal, mais avec un sérieux qui se veut le prétexte à une identification, sous une même bannière, de ceux qui apprécient sa musique. Mais malgré la présence d’invités de luxe, à l’image de Pierre de MERZHIN, Kemar de NO ONE IS INNOCENT et Niko de TAGADA JONES, la gêne est palpable. Le maximum de gênance étant sans doute atteint sur l’interminable titre final, « Eva », ballade écorchée sans doute rédigée lors des années collège d’Irvin. Comment peut-on juger qu’une strophe telle que « Vas-y j’dis trop n’importe quoi, c’est toujours la même chose quand je bois » (un exemple parmi des dizaines sur l’album) est éligible pour figurer sur un album digne de ce nom ?

DARCY s’est trompé d’époque, décidé à voir le monde derrière des œillères où les seuls ennemis qui valent la peine d’être combattus sont le FN et la Police. Ces griefs sont souvent justes, mais le groupe donne l’impression de volontairement occulter les enjeux de son temps, de se mettre volontairement la tête dans le sable et de se rassurer en tapant sur des cibles évidentes, que l’on peut conchier sans trop se creuser le ciboulot. Si l’on rajoute à cela le fait qu’aligner les injures ne suffit pas à construire un récit digne d’être écouté, on se retrouve alors avec un album qui ne surnage que grâce à quelques riffs bien sentis, une énergie insolente et une production aux petits oignons. C’est toujours ça, mais ces plaisirs sont éphémères. Pour le propos et les revendications, allez plutôt re-écouter les BERUS ou LOFO, votre temps sera bien mieux utilisé.