Bien souvent, la sortie d’un second album demeure synonyme de déception, sentiment d’autant plus fort quand le premier disque pourrait figurer dans le Top 3 de sa décennie, Life Is The Foodchain de TONIO K. demeurant un album marquant dans le domaine du Pop-Rock.

Deux ans après avoir pondu cette pépite saluée par la critique, Steve Krikorian (alias Tonio K), personnage évoluant à contre-courant des modes et des diktats des maisons de disques, retourne en studio, emmenant dans ses bagages quelques musiciens de l’opus précédent. Tonio K doit se montrer prudent, son second disque, le sarcastique Too Cool To Be A Christian, n’a pas trouvé preneur, les bandes végétant toujours sur une de ses étagères. Auteur compositeur prolifique, la qualité de ses compositions lui permet d’être repris par un panel d’artistes des plus variés (Burt Bacharach, Vanessa Williams, Dionne Warwick, Tanya Tucker, Al GREEN, Irma THOMAS et Bonnie RAITT pour ne citer que les principaux). Apprécié par l’industrie hollywoodienne, Tonio K est aussi le propriétaire d’une dizaine de bandes originales, dont celle du thriller True Romance réalisé par Tony Scott en collaboration avec Hans ZIMMER.

En 1980, le guitariste parvient tant bien que mal à intéresser Arista qui décide de l’envoyer en session à condition qu’il se charge lui-même de la production. En clair, le label veut bien presser et distribuer l’album à condition que cela ne lui coûte pas un rond. Une proposition qui lui va comme un gant, le guitariste tenant à garder la main sur la direction artistique et la production de son œuvre. Manque de pot, Arista est sur le point d’être mangé par un plus gros poisson et la promotion dédiée au disque est des plus minces. Un flou juridique permet à la CBS de publier l’album, raison pour laquelle le disque est distribué aux Etats-Unis mais aussi en Europe.
Enregistré au Soundcastle de Los Angeles, ce second opus permet de faire le lien avec son prédécesseur et une tonalité plus moderne, plus punky. Tonio K retrouve ici plusieurs fidèles compagnons de route, d’où la cohésion du répertoire alors que les pistes éclectiques peuvent paraître décousues. En fait, on retrouve dans ce patchwork musical tout l’univers artistique du guitariste dont le nom de scène est un clin d’œil aux écrivains Franz Kafka et Thomas Mann, lauréat d’un prix Nobel de littérature qui sera bientôt déchu de la nationalité allemande.

Krikorian nous délivre une critique caustique de la société américaine. Le sous-titre figurant en pochette dorsale paraît explicite : Cars, Guitars and Teenage Violence. En guise de mise en bouche, Tonio K nous délivre le saisissant "One Big (Happy) Family", un texte affreusement actuel évoquant les préjugés des peuples et plus généralement de l’homme : "The English hate the Irish -The cowboys hate the Indians -The French hate everyone - Now your Spaniard loves a bullfight (toro!)". Si on peut sourire devant les traits grossiers du texte, les idées reçues hurlées par Tonio K et dont il se moque nous renvoient à une sinistre actualité qu’il ne faut pas taire. "Go Away" s’annonce tout aussi nerveux. Musicalement, le morceau évoque The CARS mais le propos sur un amour qui se perd nous renvoie à un discours philosophique proche de Thomas Mann. "Trouble" reprend sous un rythme vitaminé une ligne mélodique similaire à certaines pistes de "Life In The Foodchain". Là, Tonio K cible le lobbying des armes et la puissance militaire qui, sous prétexte de démocratie, n’hésitent pas à cracher le feu. "Girl Crazy", titre dynamique et efficace, replonge avec envie dans un univers proche des CARS, alors que la chanson évoque la recherche d’un amour pas encore trouvé, basé sur la richesse intérieure et non selon les critères des magasines de mode aussi futiles que stupides.

Si "Say Goodbye" s’annonce plus doux avec un tempo genre balade entre Moon MARTIN et les DOOBIE BROTHERS, les paroles nous plongent dans un décor désenchanté, Tonio K ne comprenant plus notre monde qui semble partir en déliquescence. S’inspirant aussi bien du Southern Rock que du Glam californien, "Sons of The Revolution" nous assène un discours métaphorique sur les grandes inégalités de notre bonne vieille planète. There's a couple thousand people - That own it all, got all the rights - And it's greed that makes the world go' round. Pas étonnant que la chanson ne soit pas passée sur les radios américaines de l’époque. L’accordéon de Garth Hudson contribue à renchérir les paroles pessimistes de "Cinderella's Baby", une douce balade sans concession sur la bonne marche de notre planète et les directives de nos dirigeants. Les amours contrariés ou mal assortis sont une thématique fréquente comme en témoignent les paroles de "The Night Fast Rodney Went Crazy", un mid-tempo où la batterie instaure un tempo presque militaire.

Avec "Merzsuite", une chanson concept divisée en trois parties abracadabrantes, Tonio K nous invite à un voyage farfelu dans des sonorités bigarrées allant du Punk Rock avec "Let Us Join Together In A Tune", bifurquant avec "Umore" dans un folk nébuleux composé en hommage à Jacques Vaché, écrivain proche des mouvements surréaliste, anarchiste et dadaïsme. A l’image de son premier disque, Tonio K insère quelques strophes chantées en français, langue qu’il adore : "Umore – Je suis une valise vide- Umore – Je n’ai rien à déclarer". Cet interlude concept de six minutes s’achève avec "Futt Futt Futt", titre mêlant musique de genre et klezmer complètement fantaisistes agrémenté de divers bruitages et bruit d’animaux, une pure folie digne de figurer dans un film de Tati.

Si ce disque n’a pas connu un grand succès commercial, Tonio K prouve ici qu’il est un parolier se tenant en dehors des sentiers battus avec une prose bien différentes des productions américaines de l’époque. Musicalement, "Amerika" fait office de chaînon manquant entre The BAND, The CARS, Moon MARTIN et Webb WILDER.

Note réelle 3,5.