En 2013, notre collègue Kleman écrivait à propos de l’album Building An Ark (2012) que GROUNDATION "semble dévier vers une musique moins authentique, plus complexe, plus spectaculaire, parfois aux dépends du formidable équilibre dont le groupe savait faire preuve il y a quelques années". Eh bien ce constat est toujours de mise, dix années plus tard. Il suffit de se plonger dans l’écoute de la première minute de "Market Price" pour s’en convaincre. Cette introduction, tout en douceur et en finesse, a en effet de quoi surprendre. On est là bien plus dans un univers qui mêle Classique et Jazz, que dans du pur Reggae. Un Reggae qui ne se révèle que par la suite, de bien belle manière, d’ailleurs.

Car GROUNDATION ne se cantonne plus à proposer des titres purement Reggae, même si à l’image d’un "Original Riddim" qui voit les légendes jamaïcaines que sont ISRAEL VIBRATIONS et THE ABYSSINIANS se joindre à lui, il rend encore bien hommage aux piliers historiques du Reggae jamaïcain. Cette velléité d’ouverture de leur lexique musical se traduit dans "Human Race" un titre qui est très marqué Reggae… jusqu’à ce que deux passages de saxophone et de violons nous emportent dans des horizons musicaux bien différents. Un peu comme si le groupe ne parvenait plus à se contenter d’ancrer sa musique dans un Reggae traditionnel et qu’il éprouvait un irrésistible besoin d’y adjoindre des colorations Jazz, Funk ou Classique. Sentiment renforcé par le final de "Greed" qui ne possède plus que la basse pour le rattacher au Reggae.

Le résultat est parfois déconcertant et même, à certains moment, un peu trop cérébral pour que nous nous laissions totalement emporter par un Reggae libérateur et organique. C’est notamment le cas avec un "Absolutely Clear" qui part dans tous le sens et désoriente de ce fait l’auditeur. Mais les musiciens font preuve d’une telle maitrise de leurs instruments et des arrangements que les moments de grâce ne manquent pas. On peut ainsi citer l’excellent "Market Price" déjà mentionné plus haut. Ou bien le sautillant "Silver and Gold" qui est porté par une rythmique d’exception et qui se voit est enrichi d’un magnifique solo de clavier.

Le « Duo » avec THE CONGOS sur le dynamique "One Rock" fait également partie des morceaux marquants et percutants. Une peu comme dans un "Original Riddim" magnifié par la présence des invités de prestige cités plus haut. Dans ce titre, le moment où Lacelle Bulgin et Cecil Spence (ISRAEL VIBRATION) prennent le micro est en effet assez magique. Il en va de même pour l’intervention de Donald Manning et de Bernard Collins (THE ABYSSINIANS) qui précède un court passage type Dub. Pour mémoire, feu Apple Gabriel (ISRAEL VIBRATION) était déjà apparu sur l’album We Free Again en 2004. Enfin, on peut mentionner à nouveau "Human Race" au sein duquel les interventions de Liana Berube au violon et du saxophone de Roger Cox sont particulièrement bien amenées. C’est innovant, surprenant et très bien assemblé.

Alors soit, du fait de cette direction artistique un peu tortueuse et surprenante, le résultat n’est pas toujours immédiatement convainquant. La faute en incombant notamment au chant un peu trop monocorde de Harrison Stafford et à une absence de véritable tube à l’impact direct. Mais ce One Rock comprend de tels petites pépites que le résultat général est largement positif.