Ce n’est pas parce que l’œuvre chantée de Boby LAPOINTE tient en un double-CD que nous allons nous contenter d’une seule chronique en cette année de double-anniversaire. 100 ans depuis sa naissance, 50 depuis sa disparition : ça en mérite au moins une autre ! Regardons donc du côté de ceux qui lui ont rendu hommage, puisque quelques disques de reprises existent. En solo (Dédé MINVIELLE notamment) ou en collectif. Dans cette dernière catégorie, on peut citer l’album Reprisé (2002) qui, à cette heure, reste la plus grosse entreprise du genre (HIGELIN ou SOUCHON entre autres au générique). Cependant nous allons parler ici d’un projet collectif plus étonnant, celui de Formulette - éditeur jeunesse qui a réalisé une série de disques de reprises pour les enfants, dont celui consacré à Boby est le troisième volet après ceux sur BRASSENS et BOURVIL, mais avant quelques autres.

Quel meilleur artiste que Boby LAPOINTE autour duquel faire un disque pour les gamins ? Tous ceux qui en ont fait l’expérience le disent : l’homme de Pézenas fait un malheur auprès des plus petits ! Avant même de savoir parler, lorsqu’elles écoutent leurs premiers morceaux, nos larves en redemandent. Est-ce que c’est l’accent ? Cette façon singulière de chanter ? Au fond, Boby est à l’évidence toujours resté un grand enfant s’amusant évidemment avec les mots ; en les écrivant, mais surtout en les interprétant. Il y a une candeur dans sa façon de faire, probablement décelable dès le plus jeune âge. Quelque chose de très primaire qui nous sécurise et nous fait sentir bien.

Et puis, quel meilleur prof de français que lui ? Bien sûr, il y a une partie de son œuvre que l’on ne comprend que bien après, mais il y en a une autre très vite accessible. Ludique au possible, elle peut avec bonheur faire s’ouvrir les gamins à la richesse de la langue qu’ils apprennent progressivement chaque jour. Que ceux qui ont découvert et aimé Boby LAPOINTE à l’école primaire lèvent le doigt ! J’avoue, j’en suis. Je devais avoir plus ou moins sept ans quand ma mère m’a fait écouter ça. Elle devait en avoir marre d’entendre trop souvent Henri DES et les autres, elle a donc tenté de me faire passer au stade suivant. On peut dire que ça a marché : quelques mois plus tard je connaissais à peu près toutes les chansons par cœur. Ça m’a duré un temps, jusqu’à ce que je scotche encore davantage sur RENAUD. Il y a ensuite eu quelques années durant lesquelles je l’ai moins écouté, l’époque du collège où l’on ne veut plus être un gamin, où je devais probablement trouver ça trop enfantin.

Plus tard, l’enfance revient. Différemment. Il y a un côté nostalgique, mais également un côté plus analytique. On en comprend davantage, on voit mieux pourquoi c’est si bien. Je l’ai donc redécouvert autrement, me rendant compte que je l’avais encore très bien en tête. D’ailleurs, à ce propos, j’ai découvert en préparant la chronique précédente que le disque que j’ai et que je croyais être une intégrale n’en était pas tout à fait une puisqu’il y manque une chanson, va-t’en savoir pourquoi. Il s’agit de "From Two to Two", dont j’avais proprement oublié l’existence depuis tout ce temps. Elle était bien dans la première intégrale que j’avais, à l’époque des cassettes audio ; je m’en suis souvenu des plus nettement en la réécoutant ensuite. Elle m’est revenue comme si c’était hier, avec les barres qu’on se tapait avec ma mère en l’écoutant. De vrais souvenirs d’enfance qui me montrent à quel point j’ai pu être très tôt réceptif à l’art de notre ami.

Aussi, je ne suis pas surpris d’être également réceptif au parti-pris de ce disque, davantage encore qu’en ce qui concerne les albums consacrés à BRASSENS et à RENAUD (je ne connais pas encore les autres). Je le trouve particulièrement réussi, probablement parce que le casting est fort bien senti. Une bande de grands enfants qui n’oublient cependant pas d’être adultes. Personne n’en fait des tonnes, mais tout le monde s’amuse avec ces quelques morceaux. Titres plutôt bien choisis par ailleurs, dans la veine rigolote ou poétique du roi des mots. Il en manque quelques-uns qui auraient bien eu leur place (comme celui dont je t’ai parlé juste avant), mais le choix est de faire assez court, ce qui est tout à fait adapté au temps de concentration des gamins.

Les quelques artistes ou groupes retenus (dont la plupart participent à plusieurs morceaux) rafraîchissent les orchestrations, avec pas mal de variété. Ils livrent des versions enlevées tenant plutôt bien la comparaison avec les originales. Les JOYEUX URBAINS (qui sont un peu les maîtres d’œuvre de l’album et que l’on retrouve sur pas mal de chansons) s’éclatent avec l’humour noir de Toto "Le tigre", tandis que Les FOUTEURS DE JOIE livrent une version complètement délirante de "Hé Toto !". Dans un autre style, j’aime beaucoup la voix solaire de Chloé LACAN sur "Ta Katie t’a quitté" (très bonne reprise) et évidemment sur l’impayable "L’été où est-il ?", où elle donne la réplique à un OLDELAF des grands jours. Enfin le couple Loïc LANTOINE/Carmen MARIA VEGA fonctionne super bien sur "L’hélicon" et "Saucisson de cheval", pour des versions impeccables dans le contexte de ce disque. Evidemment, l’écoute de cet hommage enfantin n’est aucunement incontournable pour découvrir l’œuvre du piscénois. Mais l’honnêteté de cette entreprise sans prétention en fait un moment des plus agréables.