Après 2002, La VARDA commence à connaître un bouche à oreille porteur dans le milieu. Les tournées s’étoffent et s’étendent à tout le pays. C’est un peu trop pour Danito qui préfère rester à une échelle locale plus modeste. Il décide donc de s’éloigner du terrain avec la formation de folk, ce qui lui permet de se concentrer davantage sur le premier projet, son duo de repriseurs : Les CROQUANTS. Ceux-ci continuent de se produire, il faut donc renouveler et épaissir le répertoire. Les deux compères se retroussent alors les manches pour produire une série de nouveaux habillages à une vingtaine de chansons.

Si le premier album avait été enregistré lors d’un concert, celui-ci est en revanche un pur travail de studio, mené sur un temps plus long. Danito en est le principal artisan, son compère étant toujours sur la route avec La VARDA, mais aussi avec Olivia RUIZ qui commençait à faire parler d’elle à cette époque (et qui fait aussi une petite apparition ici). Il s'en dégage un ton complètement différent de Ca sent la bière puisque le public n’est pas là, ce qui n’est pas forcément à l’avantage de ce nouveau disque. Il y manque l’énergie du collectif, cette communication qui sublimait le premier enregistrement. Il y a quelque chose qui ne prend pas complètement ici, un manque de liant particulièrement sensible en milieu d’album, ce qui fait qu’on n’est pas loin de décrocher.

Cependant, le choix du studio a pour lui d’autres qualités dont, c’est l’évidence, celle des accompagnements qui sont portés un cran plus loin. Sur scène, ils n’étaient que deux. S’ils se débrouillaient plus que bien pour garnir la partie instrumentale, le studio leur permet de se libérer de cette contrainte en multipliant les pistes et d’accéder à une diversité bien plus avancée. Le plus intéressant est la présence récurrente d’une batterie, savamment réfléchie et dosée, venant soutenir certaines parties pour donner une autre vigueur aux morceaux. On entend aussi au fil du disque des parties aux cuivres, du piano par-ci par-là, une superposition d’instruments à cordes grattées, parfois électrifiées. Tout ceci leur permet de faire un peu évoluer leur style, au-delà des partitions énergiques basées d'une part sur du banjo ou de la mandoline et de l'autre sur l’accordéon. On peut noter en particulier la façon dont ils rhabillent Boby LAPOINTE, avec d’abord un délire cajun et, plus loin, quelque chose de plus aérien.

Outre l’homme de Pézenas, Jacques BREL est le plus repris avec deux chansons : "Le moribond" et "La chanson de Jackie" - deux chansons qui vont extrêmement bien aux CROQUANTS d’ailleurs. De ceci, nous pouvons en conclure deux choses. Tout d’abord, il y a sur ce disque une plus grande diversité des artistes repris. Le premier album se concentrait pour l’essentiel sur BRASSENS, AZNAVOUR, GAINSBOURG et BREL. Ils sont toujours là, mais occupent désormais une place bien moins centrale. Il y en a donc pas mal pour de nouveaux et nouvelles venues dans leur univers : entre autres PIAF, REGGIANI, NOUGARO ou VIAN. Avec quelques personnalités plus inattendues comme Annie CORDY, ou plus obscures comme Léo MARJANE.

L’autre chose, c’est que les chansons reprises sont rarement parmi les plus connues de leurs interprètes d’origine. Il y a bien peu d’incontournables de la chanson à signaler en vérité ; "Le tourbillon de la vie" que tout le monde connaît, "Les loups sont entrés dans Paris". Et puis quelques autres que les amateurs du genre ont entendu quelque part ("Les joyeux bouchers", "La tactique du gendarme" par exemple). Il y a de fait une grande part de découvertes et de redécouvertes et c’est à mon sens le principal mérite de ce disque. Parce que "Douze balles dans la peau", c’est de la très belle ouvrage du GAINSBOURG de la première époque, qu’ "Un dur, un vrai, un tatoué" mérite de ne pas être oubliée, que cette "Java" est particulièrement bien troussée.

Les CROQUANTS avaient déjà trouvé leur style. Ils agissent ici en artisans qui regarnissent la vitrine. Cela sent parfois un peu l’automatisme, mais leur savoir-faire est si évident qu’il n’y a pas grand grief à formuler si ce n’est un milieu de disque moins inspiré. Mais le début et surtout le dernier tiers de Reprisé sont franchement bien tournés. A chacun de savoir si cet art de la reprise présente un intérêt en soi, ce débat éternel reste ouvert. En ce qui me concerne, je dis cent fois oui. J’aime ce côté passeur de mémoire autant que ce côté couturier des CROQUANTS ; je retourne donc régulièrement dans leur échoppe.