On ne peut décemment point parler de Jeanne Cherhal comme d'un vrai premier album, rien qu'à cause de son format, plus proche de l'EP. Néanmoins, et on l'oublie souvent, il a précédé de peu le premier live de 2002, compté comme début véritable de cette carrière et dont, avec le recul, il demeure indissociable en termes de style.

Jeanne CHERHAL est âgée de 23 ans à cette époque, originaire de Nantes, sortant d'années d'études de philosophie mais aussi d'une période marquée par le rock, dans son activité musicale semi-professionnelle. Ce premier EP affirme son style en entrée par la petite porte des grands artistes, avec une intégrité loin d'être négligeable alors que le Troisième Millénaire vient d'être célébré.

Pour l'heure, il n'y a qu'elle et son piano, de même que sur le live qui suit. La différence, c'est que ces six premières chansons enregistrées sont publiées en autoproduction, avec un label qui reprend le nom de l'une d'entre elles. Voué à un destin éphémère, cet EP n'en est pas moins empli de charme, ne serait-ce que par l'énergie qui caractérise Jeanne CHERHAL et son talent pour les années à venir.

Cette pochette enfantine où les nattes de la chanteuse ne font qu'un avec ses bras, avec cette bouche malicieuse surlignée de rouge, est bien dans le ton voulu par l'artiste. Cette grande timide de nature, une fois assise devant son piano, se lâche autant qu'elle le peut et sait se rendre captivante.

En elle, il y a du Jacques HIGELIN autant que du Véronique SANSON, que du Kate BUSH ou du Fiona APPLE. Il y a de la jeune femme tendre au possible et qui ne mâche pas ses mots, de l'amoureuse et de la féministe, principe qu'elle a d'ailleurs suivi très tôt, depuis le début de l'adolescence 'grâce' à un professeur de collège qui avait osé se prononcer contre l'avortement.

Son propos appuyé commence avec "Roberto", description d'un jeune tanguy soumis à divers écarts de conduite et dominé par une mère jamais satisfaite. Sur un piano latin sautillant et staccato avec des notes piquées, ajoutant ci et là des pluies de notes aiguës, Jeanne CHERHAL use de caractère, de théâtralité, chantant comme si elle était sur une scène de music-hall ou de cabaret.

"L'homme" ensuite, offre de beaux roulements arpégés et démonte certains poncifs de la masculinité, faisant ressortir l'homme craintif, 'pathétique' trop vite caché par le grand guerrier. Plus loin, après "Ce Soir...", chanson d'ivresse 'pour tromper la faiblesse', CHERHAL use encore plus de verbiage tragi-comique sur une "Madame Suzie" en noirceur, portrait de parents rejetant leur enfant homosexuel.

L'ambiance musicale dynamique, adaptée aux développements textuels et très inspirée par l'Europe de l'Est, se calme avec "Sans Titre", la plus poignante de l'ensemble. Les dérives de messieurs âgés sur d'innocentes fillettes y sont dénoncées avec subtilité et émotion, pour mieux contenir la colère. "Taisons, taisons, taisons..." et d'emblée, il n'y a plus rien à dire. De quoi obliger l'EP à se conclure en instrumental, avec une valse courte mais soignée et fort bien nommée, "Le Silence Me Va Bien".

Jeanne CHERHAL, tout en ne cachant pas sa tendance à l'humour, est alors une artiste écorchée, et ce que l'on retient de pareils débuts, avant tout, demeure une belle sincérité, en sus de qualités musiciennes indéniables, de chansons déjà bien écrites. Une autrice et interprète qui a beaucoup à dire, qui fera simplement mieux par la suite.