La meilleure chose que Jenifer Bartoli dite JENIFER ait apporté à la musique demeure son action à The Voice et dès la première édition en France (2012), lorsqu'elle a soutenu Ophélie Moisan alias AL.HY, venue de Saint-Amand-les-Eaux, près de Valenciennes (59). Arrivée en finale, celle-ci a dû s'incliner devant un de ses concurrents, mais dans ces émissions-là, on le sait, le vainqueur, à long terme, n'est pas toujours gagnant. Deux ans plus tard, AL.HY publie son premier album, Alphabête, dont on remarque la discrétion d'un point de vue pochette, le titre tenant du registre iconoclaste et la qualité indéniable perdue dans l'océan d'une chanson variété en pleine dérive, avec de moins en moins d'artistes forts et intègres pour la porter.

AL.HY pourrait être de ces derniers, mais elle a gardé en elle une attitude d'adolescente sensible et en vigilance constante, en mal-être sous-jacent face au monde et à la vie, confinée à sa chambre, alimentant son art et son goût du surréalisme. Pour elle, la rançon du talent, c'est de figurer dans l'ombre, et d'y rester ; mais pour ceux qui l'aiment, se souviennent d'elle, quel pied ! Sa voix est grande, elle habite ses chansons comme personne, même les plus simples. S'il y a eu des auteurs et compositeurs meilleurs qu'elle en France, elle sait se rendre touchante et convainc les coeurs avec naturel. Son grain de folie douce fait le reste, et puis, grâce aux réseaux sociaux, même une timide peut toujours communiquer, partager. Je me souviens d'un montage qu'elle s'était amusée à faire avec la pochette vinyle du Tarkus d'EMERSON, LAKE & PALMER, comme si elle venait de le trouver dans la discothèque de ses parents, en ayant imprimé sa tête sur celle du tatou.

Son album à elle, Alphabête, est typique de son esprit de femme à 20 ans, entre maturité durement acquise et restes de l'enfance. Le premier morceau, "Lalalavie", masque bien peu ses évocations de la mort, ses prises de conscience de la marche de l'existence. Il y a d'ailleurs un effet de pas militaire glissé sur le pont, en contrepied de la valse rock de départ, au cours de ce qui se révèle comme une introduction ample et généreuse, quoique noire, éperdue. Et la voix d'AL.HY, saisissante déjà, au milieu de tout cela.

Cette chanson, comme les deux suivantes, était présentée sur l'EP avant-coureur. Comme le reste, elle bénéficie du concours de Pierre Guimard (NOISY FATE, Jean-Louis AUBERT, LILLY WOOD AND THE PRICK) en tant que producteur au studio Sysmo Records et pour le label du même nom, multi-instrumentiste également. Parmi les musiciens intervenants, en petit comité, on rencontre le guitariste François Poggio (Stéphan EICHER, Françoise HARDY etc) ainsi que le claviériste danois Johan Dalgaard, remarqué auprès de Fred CHAPELLIER, AUBERT, HALLYDAY etc et présent sur l'album Et Puis Juin de ROSE, sorti un an plus tôt en 2013 ; ROSE qui d'ailleurs vient co-signer un titre ici ("Tu Veux Me Connaître") avec Guimard et miss Nili Hadida de LILLY WOOD. Il y a aussi monsieur Furnon de MICKEY 3D pour l'écriture complète de "Temps X" et "Tous Seuls au Monde", deux bons titres au demeurant.

Le premier use de paroles imagées étranges ("rien ne presse sur les fesses de la Vénus de Milo, sur nos vestes se renverse le sirop") mais que AL.HY entonne avec une belle sensualité et en grande classe, juste avec une guitare acoustique pourtant, et tout en gardant un timbre désabusé. Le deuxième, "Tous Seuls au Monde", malgré sa batterie sur-mixée, déploie joliment son ambiance funky pour quelques lueurs d'espoir dans la morosité de la condition humaine. La chanteuse s'adapte bien à un mélange de groove et de rêverie, tout comme sur "Chanson Contente", soul-rock entre verbiage et voix de tête, ou le plaisant slow boiteux "Comment Te Retenir" dans une veine un peu plus sixties jusque dans sa durée 'idéale' de deux minutes trente.

AL.HY navigue entre ballades langoureuses et valses éperdues, intimes à un certain point ("Echo", "La Pluie" et son influence Tim Burton) car l'amour fait aussi partie de ce "voyage au coeur de ses pensées", tel que mentionné sur le titre "Alphabête". Claviers et guitares soutiennent fortement cette "fille paumée, prête à craquer" sur des "Détail" et "Petite Chose" remarquables par leurs accents jazz, tango. "Irai-je toujours de guerre en guerre, rengaine" clame-t-elle sur le troisième et tourbillonnant morceau en piano-voix ? Réponse au prochain album, en sachant que ce premier, rempli de beaux moments mais incompatible avec le public des masses, se place déjà dans le haut du panier.

Note réelle : 3,5