Début février, un terrible séisme était à l’origine du décès d’environ 50000 personnes en Turquie et en Syrie. Une tragédie dont la population de cette partie du globe est malheureusement coutumière. Ce drame nous aurait-il inconsciemment poussé à revenir vers la formation turquo-hollandaise ALTIN GÜN ?

En préambule, signalons que le groupe sera de passage à Paris et Villeurbanne en avril. Si certains lecteurs, à l’instar de votre humble serviteur, ont connu la formation suite à la sortie de Yol, fantastique album publié en 2021, la formation avait déjà pas mal d’heures de route.

Cette pochette colorée, à l’instar des bandes dessinées de petit format, représente un paysage de la Cappadoce, probablement inspiré par le site de Koroma (Göreme) connu pour ses habitations troglodytiques. Cet enregistrement maison édité par le label genevois Bongo Joe, spécialiste du Rock Psyché Anatolien, se révèle une source de fraîcheur.
Ce premier jet propose un superbe voyage au cœur du passé, la formation reprenant à la sauce Electro Pop des titres issus du folklore anatolien et du Rock Psyché seventies. Le curieux assemblage d’instruments demeure une démarque forte. L’utilisation d’un saz électrique (ou bağlama), d’un mélodica, instrument dont la portée peut passer d’une octave et demi à trois, la présence de claviers en droite ligne avec le registre Electro Pop du début eighties et d’un orgue qui se dresse élégamment entre la sonorité de l’Hammond Roland et d’un Vox Continental plutôt dédié au registre Garage contribuent à diffuser une tonalité pour le moins singulière. Ajoutez-y la contribution d’un tambourin (plus précisément d’un riqq), élément rythmique par excellence, et diverses percussions comme le daff, la darbouka et vous pourrez aisément imaginer la belle invitation au dépaysement que propose ALTIN GÜN.

Parmi les dix pistes de l’album, "Neşet Ertaş"♦ un virtuose du bağlama et grand spécialiste des bozlaks*, se taille la plus grosse part du gâteau avec pas moins de quatre reprises. En guise de mise en bouche, "Tatli Dile Güler Yüze" avec son intro de batterie, sa basse bien ronde et l’orgue qui sonne comme un farfisa nous entraîne inexorablement sur une piste de danse. La conjugaison des divers instruments, des arrangements novateurs, le chant crépusculaire de Merve Dasdemir associés à un rythme trépidant et obsédant sont des atouts de première main. Même impression avec "Kırşehir'in Gülleri", l’habile mélange de bağlama et de guitare et toujours cette basse pleine de rondeurs viennent en contrepoint du chant spectral d’Erdinç Ecevit Yıldız.
"Şad Olup Gülmedim" s’annonce plus comme une prière ou un chant de montagne, le bağlama et des percussions en arrière-plan demeurant les seuls instruments présents. Dernière pioche dans le répertoire d’Ertaş avec "Çiçekler Ekiliyor", titre rythmé entrecoupé d’un bon passage de batterie et de percussions orientales. Bourré de métaphores, la chanson compare la flore d’un jardin à une rupture amoureuse.
Si ces quatre compos de Neşet Ertaş égrainent une période s’étalant entre 1960 et 2000, Jacco Gardner et ses acolytes s’attaquent à des morceaux plus contemporains, à l’image de "Kaymakamin Kizlari", création de Yurtseven Kardesler, une formation composée de cinq frères et deux sœurs. Si l’original proposait des passages de zurna (instrument à vent de la famille des hautbois) et des boîtes à rythmes, là on reste dans une lignée Electro Pop dans laquelle le mélodica tisse de belles toiles. Autre titre plus actuel, "Caney", une compo d’Azer Bülbül, décédé en 2012, prend incontestablement de la voilure ; l’intro de percussions et la basse lorgnent sur un Free Funk bien rythmé. Une version qui fait oublier l’original et la reprise d’Aylin Demir.
Standard de l’Anadolu Rock popularisé par Zerrin Zeren (tuée en 1976 à 22 ans à la sortie d’un concert) "Halkali Şeker" aura connu moult covers (Necla çelenk, Arif Sag, Aydin Sevim) là encore une fois sous l’impulsion de la guitare électrique et du bağlama, la mélodie prend une autre dimension pour un titre alliant subtilité et festivité.

Unique compo du groupe, "Goca Dünya" débute avec une intro de basse imparable digne de figurer dans un album du catalogue Daptone Records. Le chant de Merve Dasdemir, l’orgue (un Juno 60 de marque Roland) et la guitare semblent en symbiose, un titre dans lequel on se retrouve happé, comme pris dans un tourbillon et dans lequel le groupe nous alerte subrepticement sur les folies qu’encourt notre planète.

Enfin, la formation rend hommage à Erkin KORAY, grande figure du Rock Psyché Anatolien. En guise de fermeture, ALTIN GÜN nous balance "Şeker Oğlan", un long voyage cosmique entre Rock à la PINK FLOYD et un univers proche de Mike OLDFIED avec en point d’orgue une basse imperturbable. Si le titre a fait l’objet de reprises ancrées dans un folklore traditionnel (Sümer Ezgü, Koray Avci ou Ertuğrul Şeker), cette version se démarque nettement du lot par son originalité. On conseille également l’interprétation de la chanteuse Hülya Süer dans une veine Electro Pop Remix. Terminons notre voyage en Cappadoce avec "Cemalim", autre tuerie de Koray, dont le jeu de gratte rappelle curieusement celui de Louie Ortega, leader de LOUIE & The LOVERS. Encore une fois, l’assortiment d’instruments aussi éloignés que le bağlama électrique, la guitare et les synthés contribuent à apporter des nuances aussi délicates qu’hypnotiques. Une version qui relègue très loin celles de la chanteuse Cansever ou d’Haluk Levent, un hard-rockeur au grand cœur. Pour les curieux, le site YouTube propose une vidéo du morceau captée lors d’un show à la Halle de la Carrouze, à l’occasion des Trans Musicales de Rennes 2017.

Premier disque d’ALTIN GÜN, On laissait présager de beaux jours pour une formation qui fait souvent mouche sur scène. L’association entre un Electro Synthé Pop débridé, le Folklore traditionnel Anatolien et le Rock Psyché versus Erkin Koray mérite le détour pour tous ceux qui refusent de porter des œillères. Un premier disque annonciateur du fantastique Yol. Si ce disque aurait pu être rangé dans le rayon des musiques traditionnelles ou celui des musiques du monde, l’apport d’une proéminence Electro Pop nous incite à le classer sur l’étagère de la Pop.

Note réelle 3,5.

♦ Neşet Ertaş est décédé en 2012 à l’âge de 74 ans.
*Les bozlaks sont des airs folkloriques joués principalement en Anatolie dont les thèmes de prédilection sont centrés sur les combats tribaux, les vengeances, les vendettas et les amours contrariés.

PS : Remerciements à Eren Aykut, Meriem et Jonas « Gros » Anderssen pour certaines traductions et leurs connaissances de l’Anadolu Rock.