Alors qu’elle n’est âgée que de 17 ans, Melanie MARTINEZ participe au show américain The Voice en 2012 et se fait éliminer à mi parcours, une chance peut-être quand on sait que les gagnants ne parviennent pas souvent à maintenir une carrière durable. Elle en profite pour écrire des chansons et commence petit à petit à developper le concept qu’elle présentera sur son premier album Cry Baby, sorti en 2015.

Vous connaissiez peut-être Sasha Fierce, l’alter ego de BEYONCE ? Laissez-moi vous présenter Cry Baby, l’alter ego de Melanie MARTINEZ. L’album raconte la vie du personnage fictionnel de Cry Baby, légèrement inspiré de ses propres expériences. Au travers de ce premier disque qui s’écoute comme on lit un bon livre, la jeune chanteuse dira qu’elle relate l’histoire d’une enfant qui vit des choses d’adulte. Tout au long de l’album, l’artiste utilise des titres de chansons qui rappellent l’idéologie de l’enfance et intègre des sections instrumentales bourrées de sons bigarrés et hétéroclites (tic-tac d’horloge, jouet bruyant…) qui reflètent le thème des titres.

L’album s’ouvre avec le titre "Cry Baby", une introduction à ce personnage hypersensible dont tout le monde se moque pour avoir un trop grand coeur. La force de Melanie, c’est de pouvoir nous transporter dans son univers rien qu’avec une chanson. Si jamais le tableau n’était pas encore assez précis pour vous, "Dollhouse", avec son instru glaçante, expose la vie tragique de notre protagoniste avec sa famille parfaite de l’extérieur mais oh combien dysfonctionnelle (mère alcoolique, père infidèle, frère drogué… what else ?). Avec "Sippy Cup" on observe comment sa mère gère les situations compliquées (spoiler : ça se termine mal) sur une mélodie morbide et groovy. Oui tout est possible avec Melanie ! Le tube "Carousel", que vous avez sûrement entendu au générique d’American Horror Story, parle du premier amour de Cry Baby, une histoire qui tourne un peu mal avec cette sensation d’être coincé sur un carrousel, sans vraiment pouvoir aller de l’avant, tout ceci sur un son pulsant de cirque dark et dérangé. Sur "Alphabet Boy", une de mes chansons préférées de l’album qui est inspirée de sa vie, elle déploie son immense lyrisme - et des allitérations sur tous les couplets, par ordre alphabétique sinon c’est pas drôle - pour expliquer comment Cry Baby se sent inférieure quand son mec lui sert une dose de mansplaining. Le titre "Soap" parle de vulnérabilité sur une instru perchée remplie de bulles de savon qui évoque le trop-plein de réactions qu’elle va provoquer si elle continue à balancer ce qu’elle a sur le coeur.

La dernière vraie chanson d’amour de l’album arrive avec "Training Wheels" où Cry Baby, heureuse et in love, se demande quand sera enfin venu le moment d’enlever les petites roues de sa relation pour la faire évoluer. "Pity Party" et son sample de "It’s My Party" de Lesley GORE explose sur TikTok faisant connaître l’univers décalé de Melanie au grand public. Dans ce chapitre, personne n’est venu à l’anniversaire de Cry Baby alors c’est la crise de larmes mélodiques assurée. Cette fois on arrive au moment critique du récit : notre héroïne se fait choper par le grand méchant loup ! Une agression et un kidnapping fictif plus tard, Cry Baby appelle à l’aide sur "Tag, You’re It" avant de vaincre son ravisseur avec les biscuits empoisonnés de "Milk And Cookies". Enfin libre, célibataire et un poil plus toquée qu’avant, Cry Baby, qui ne veut plus être une side bitch, dit son désespoir concernant l’amour sur "Pacify Her" avant de faire la critique de la société sur le titre "Mrs. Potato Head" et l’adage il faut souffrir pour être belle qui semble rendre les gens accros à la chirurgie en rappelant que ce n’est pas comme ça qu’on pourra cohabiter avec nos insécurités. Le titre final, "Mad Hatter", reprend les codes d’Alice au pays des merveilles pour faire l’éloge de l’anticonformisme avec l’étendue vocale impressionnante de Melanie sur un gros son hiphop un peu sinistre pour terminer cette épopée en beauté.

Dans l’histoire de Cry Baby, entièrement écrite de manière hyper précise par la chanteuse qu’elle accompagne d’ailleurs de clips vidéos pour chaque chanson, notre personnage un peu abîmé passe du carnaval au film d’horreur sur une pop mi-électro mi-hiphop, et carrément alternative quand on voit le manque de créativité chez certains autres artistes actuels. Chez Melanie, les métaphores, les mélodies entraînantes et le timbre de voix plein de vibration et de caractère sont au rendez-vous pour produire une oeuvre unique et cohérente. En 2016, elle sort l’EP Cry Baby’s Extra Clutter avec les titres "Play Date", "Teddy Bear", "Cake" et le single de fêtes de fin d’année "Gingerbread Man", toujours dans la continuation de l’histoire de son alter ego.

L’harmonie de l’album (pas une chanson ne semble être là juste pour remplir une piste) avec des instrus qui conduisent complètement l’histoire donne un résultat hyper consistant sur tout le disque en devenant de plus en plus intense, avec quasi aucun moment de faiblesse à relever, un tour de force pour Cry Baby qui combat ses démons et commence à apprendre le monde. Non seulement Melanie sait clairement faire un album qui marche, mais elle sait surtout le faire avec beaucoup de substance… pas trop mal pour un bébé, non ?