Je vous fait grâce pour le moment de l’album My Kind Of Christmas (pour ça, revenez dans trois mois) et on passe directement en 2002 avec le quatrième opus de Christina AGUILERA, jeune pop star qui tomberait presque un peu dans l’oubli à ce moment-là. Pourtant, elle revient avec Stripped, son album le plus personnel avec lequel elle prend une direction inattendue et plutôt audacieuse, brisant l’image préfabriquée de pop star sainte-nitouche.

Christina s’investit cette fois pleinement dans l’écriture et la composition de la majorité des morceaux, montrant ses différentes facettes et une sincérité brute qui n’était pas forcément à la mode à l’époque. En son temps très controversé, vous avez forcément déjà entendu le single "Dirrty", un featuring à la production hip-hop très marquée avec le rappeur REDMAN. Des percussions bien lourdes, un groove soutenu, bref, un morceau club sur lequel une X-tina un peu rebelle exprime librement son émancipation sexuelle. Christina est majeure et vaccinée, mais surtout, elle est à la barre, bien déterminée à s’approprier sa propre image et sa musique, et tant pis si cela choque (en tout cas, ça fera bien vendre).

Cependant, la courte introduction au projet, "Stripped Intro", nous prépare pour l’introspection à venir, loin des préjugés qu’on pourrait se faire à la simple écoute de "Dirrty". La chanteuse se libère de son ancienne image et endosse la version authentique d’elle-même (So here it is/No hype, no glass, no pretense/Just me/Stripped). La basse R&B et les percussions sont proéminentes sur le single "Can’t Hold Us Down", un hymne féministe en duo avec Lil KIM dont le flow ajoute une touche de férocité plutôt cool (So what, am I not supposed to have an opinion?/Should I keep quiet just because I’m a woman?).

On retrouve aussi Christina autour du piano d’Alicia KEYS sur la ballade un peu soul "Impossible" que cette dernière écrit et produit pour la jeune chanteuse de 22 ans. Les deux divas harmonisent joliment en abordant des questions d’amour, un sujet qu’AGUILERA continue d’explorer sur la ligne de basse funky de "Underappreciated", avec les guitares latino d’ "Infatuation" ou dans "Loving Me 4 Me", un titre sensuel au tempo lent qui voit Christina raconter l’amour sans artifice (Your soul, your flow, your youth, your truth is simply proof/We were meant to be/But the best quality that’s hooking me/Is that you’re loving me for me).

Il y a évidemment les autres singles emblématiques du projet : la chialante "The Voice Within" et son instru orchestrale, l’iconique mais un peu chiante "Beautiful" écrite par Linda PERRY et son message important d’acceptation de soi, sans oublier bien sûr "Fighter", un titre solide sur lequel Christina transforme la douleur en force, soutenue par des guitares électriques et des percussions puissantes. L’influence rock s’entend encore davantage dans l’énergie lourde et surprenante de "Make Over", alors que pour le reste, on replonge vite dans des morceaux plus doux.

Plus doux oui, mais pas faciles pour autant ! Christina, du haut de son jeune âge, nous raconte ses traumas pour s’en libérer. Il y a "I’m OK", une chanson où la chanteuse revient sur la violence instaurée par son père durant son enfance, dont la guitare acoustique et l’enregistrement intimiste laissent place à la profonde émotion d’AGUILERA (Bruises fade, father/But the pain remains the same). Mais mon morceau préféré reste la ballade au piano sombre et mélancolique "Walk Away" où Christina - dans un crescendo intensément dramatique - parle d’une relation destructrice dont elle arrive à rendre la douleur palpable (Got caught in your web and I learned how to bleed/I was prey in your bed and devoured completely), sublime tout simplement.

On redécouvre donc la chanteuse sous un angle beaucoup plus dur, beaucoup plus profond que dans ses projets antérieurs mais cette prise de risque a été finalement un vrai bénéfice pour sa carrière, et ce quatrième album est loin de se morfondre dans la déprime du passé. Bien au contraire, et elle boucle la boucle dans l’interlude "Stripped Pt. 2" en reliant les thèmes et le message de l’album (I won’t let you break me/Think what you want). Pour le reste, AGUILERA sait garder le moral des troupes au beau fixe grâce à des morceaux 100% positifs : le changement sur la ballade un poil trop répétitive "Cruz", le rythme R&B-funk sensuel de "Get Mine, Get Yours" ou l’hymne "Soar" aux harmonies plus soul ; bref, Christina nous rappelle que de la noirceur s’échappent toujours quelques rayons de lumière.

Pour finir, AGUILERA termine l’album sur l’instrumentation riche et les choeurs aux influences gospel de "Keep On Singin’ My Song", un joli morceau qui parle du pouvoir de la résilience, de quoi finir avec une note pleine d’espoir. Qu’elle prenne le contrôle de sa sexualité, qu’elle parle des violences familiales ou de l’estime de soi, Christina AGUILERA défie ce que signifiait être une jeune femme dans l’industrie de la pop pour midinettes assez superficielle. Grâce à sa participation artistique accrue et le fait de s’associer à des producteurs qui respectent sa vision, Stripped devient un manifeste plein d’authenticité qui s’explore en profondeur. Rebelle et parfois provocateur, c’est un album singulier qui ne cherche pas à plaire, mais à exprimer sa vérité.

Christina semble vraiment avoir trouvé sa voie, et sa voix par la même occasion. Spectaculaire mais canalisée à la perfection, elle s’autorise quelques moments rares de vulnérabilité et beaucoup de performances vocales qui deviendront rapidement ses trademarks. Oeuvre d’expression personnelle, Stripped ouvre la voie à toute une génération d’artistes féminines prêtes à revendiquer leur liberté et à prendre des risques. D’une maturité qu’on ne peut que reconnaître, Stripped est fondamental de la discographie de X-Tina, la preuve que la pop peut être à la fois commerciale et sincère, s’il ne fallait en garder qu’un, ce serait celui-là.