Roly PORTER s'est fait connaître lorsqu'il opérait en duo au sein de VEX'D, sur le label Planet Mu. Lorsque le groupe s'est séparé après deux très bons albums, PORTER s'est lancé en solo dès 2011. Kistvaen est son quatrième album studio, album paru de nouveau sur le label Subtext. Avec Third Law, paru en 2016 sur le label Tri Angle, Kistvaen représente non seulement le meilleur de ce qu'il a pu produire en solo mais également un album qui, dans l'absolu, est réellement excellent.

Kistvaen est au départ une œuvre audiovisuelle développée en collaboration avec Marcel Weber (MFO). Ce nom de Kistvaen est tiré d'un type de tombe faite de granite que l'on retrouve dans le Dartmoor, au sud-ouest de l'Angleterre. L'idée de Kistvaen est de faire ressortir des histoires et images de ces sites funéraires, des inhumations opérées en ces lieux, le tout s'étalant du Néolithique aux temps présents. Toutefois Kistvaen ne se veut pas ancrée dans une période précise de l'Histoire, même si PORTER fait appel à trois vocalistes spécialisés, l'une dans la musique médiévale écossaise (Mary-Anne Roberts), l'autre dans la musique de chambre médiévale, expérimentale et néoclassique (Ellen Southern, du Dead Space Chamber Music Group) et le troisième dans les chants traditionnels (Phil Owen). PORTER y voit une sorte de nécromancie sonore où les esprits dormants sont évoqués, voire convoqués.

Et c'est effectivement le point remarquable de Kistvaen, ce ressenti d'une forte présence, d'une âme qui nous rejoint, se décorpore et en devient presque palpable. Cette œuvre n'est pas un album de dark ambient de plus, étiquette d'ailleurs relativement pauvre pour le qualifier, il y a vraiment quelque chose de vivant et de profondément humain et d'ancestral dans cette musique. On est au-delà des travaux que l'on entend habituellement ; nous sommes immergés dans l'au-delà justement.

Grondements sourds dans le lointain, objets métalliques flottant dans le vent et qui semblent plus proches, Kistvaen s'ouvre sur des vocaux d'une cérémonie païenne, s'adressant probablement au Ciel et à la Terre. Il y a quelque chose de profondément chamanique et d'ancestral dans cette musique, qui s'élève directement du passé lointain de l'Homme. Celui qui lève les yeux vers le ciel constatera, inquiet, à quel point il s'avère chargé et bien sombre. Comme sur le précédent Third Law, PORTER nous régale d'une musique électronique puissante, dynamique et sacrément bien spatialisée dans ses profondeurs; c'est très flatteur.

Les effets de cordes frottées de "Burial", jaillissant d'un magma sonore de grésillements, sont menaçants ; les wobbles qui s'ensuivent ne sont pas sans rappeler les premiers goûts musicaux de PORTER, le Dubstep. Les nappes de synthés, toujours très mélancoliques et poignantes, et qui semblent avoir traversé les âges, mélangées aux expérimentations sonores, aux drones et autres bruitages issus du Field Recording, peuvent parfois rappeler l'excellent et futuriste Void de ACCESS TO ARASAKA. PORTER a l'intelligence de mixer l'expérimental au 'mélodique cérébral' qui se connecte instantanément à l'Esprit. Un soupçon de néo-classique, imitant des instruments du type violons/violoncelles, apporte une dernière touche de toute beauté.

"An Open Door" enfonce ce travail d'immersion par un moment de pure sensibilité, tout d'abord au piano puis dans des vagues de synthés sur fond de boucles vocales, qui peuvent évoquer une infinie tristesse ; c'est en cela que cette musique électronique est profondément humaine. Ce travail est toujours accompagné de riches expérimentations sonores qui vont s'étaler dans une phase de glitch. De son côté, "Inflation Field" aurait pu servir de B.O à la continuation d'un film futuriste tel Blade Runner. Cette plage d'ambient côtoie elle aussi les intrigantes atmosphères du futuriste et technologique Void.

"Passage" est la pièce la plus consistante de l'album avec ses près de quinze minutes au compteur. Orgue, drones, effets de cordes presque symphoniques, nous voilà ensuite plongés dans une terrible machinerie industrielle dans un décor hautement sinistre et inquiétant, superbe ! Les tableaux sonores s'enchaînent, PORTER a vraiment apporté beaucoup de soin à son Kistvaen qui dévoile alors un spectacle grandiose digne d'une odyssée spatiale. C'est le dernier "Kistvaen" qui se charge de mettre fin à une telle intensité, on pourrait imaginer ainsi passer du premier "Assembly", qui représente l'aube de l'humanité, quand celle-ci lève les yeux vers les étoiles, aux étoiles qui sont finalement atteintes par l'Homme dans un voyage interstellaire.

Kistvaen est vraiment un album de (dark) ambient saisissant avec un travail sur les textures sonores remarquable. Au-delà du travail sur la matière, PORTER a su construire une œuvre captivante de bout en bout, animée par une âme qui nous vient de loin, des premières heures de l'Humanité. Les premiers Hommes, à la différence des animaux, ont levé leur regard vers les étoiles et se sont demandé d'où ils venaient et quel serait leur destin. Ils ont compris qu'ils devaient compter avec quelque chose de plus grand qu'eux, qui restait caché et inaccessible. Kistvaen semble capter les images de ces premiers regards tournés vers le Ciel. Brillant.

Note : 4.5/5.