Formé depuis 2018, le groupe BOYGENIUS est composé de Phoebe BRIDGERS, Julien BAKER, et Lucy DACUS. L’association des trois chanteuses américaines se fait sur un fond d’admiration mutuelle et s’inscrit dans le but de bousculer l’image de nanas rockeuses qui leur est attribuée sans plus d’analyse. Si les trois musiciennes travaillent sur leurs projets perso, cela ne les empêche pas d’enfourcher leurs guitares et de collaborer ensemble sous le sobriquet de BOYGENIUS. Un EP en 2018, un album studio chacune, puis vient le temps de sortir The Record en 2023, premier long format du groupe.

On entre direct dans le vif du sujet sur le premier titre du disque, "Without You Without Them", un acapella où le trio harmonise en osmose sur une mélodie aux tonalités vintage. Les paroles, elles, montrent une envie de se connecter à ceux qui partagent notre temps et à les connaître réellement (Who would I be without you, without them ?/Speak to me/Until your history’s no mystery to me). L’individualité des trois chanteuses est mise en avant sur ce projet : Julien et sa vibe chaotique, Phoebe toujours membre à plein temps du club des sad girls et Lucy qui écrit avec tendresse sur l’amitié.

C’est BAKER qui mène principalement la chanson "$20", soutenue par ses acolytes sur des harmonies éparses qui sont encadrées des riffs de guitares énergiques hyper cool avant de ralentir et de changer de tempo. C’est désordonné, bouleversé et presque soft punk quand on arrive sur l’outro où Phoebe nous fait cadeau de ses cris mi-angoissés mi-furieux, un régal. Le single "Emily I’m Sorry", ballade pilotée par BRIDGERS conserve un mélodie douce en passant des passages acoustiques aux parties plus dynamiques.

Le single "True Blue" est une des vraies pépites de cet album : cinématographique mais surtout minutieux autant dans son écriture que dans ses descriptions de l’affection et de la loyauté (And it feels so good to be known so well/I can’t hide from you like I hide from myself). Conduite par DACUS sur les couplets, c’est une chanson vibrante qui va au-delà de ce qui est en surface, un peu comme un câlin qui réchauffe le coeur. "Cool About It" a l’acoustique folk douce et offre aux musiciennes un couplet et un refrain où chacune mettra sa propre énergie pour raconter trois histoires différentes. Les guitares vont et viennent de manière supérieure sur la berceuse déprimante (If it isn’t love then/What the fuck is it ? I guess/Just let me pretend) de BRIDGERS, "Revolution 0" avant de finir sur une outro foisonnante.

Le trio cite ensuite le musicien sur la chanson "Leonard Cohen" avec une touche d’humour (Leonard Cohen once said/« There’s a crack in everything, that’s how the light gets in »/And I am not an old man having an existential crisis/At a Buddhist monastery, writing horny poetry/But I agree). Chanté principalement par DACUS, "We’re In Love" aborde au piano l’importance de l’amitié, encore, sur une section de cordes qui vient apporter au titre une grâce certaine (If you rewrite your life, may I still play a part ?/In the next one, will you find me ?). "Satanist" et sa vibe rock 90s (Will you be a nihilist with me ?/If nothin’ matters, man, that’s a relief) commence par une structure mélodique un peu répétitive avant de virer colérique et de terminer en freinant sur un tempo lent et serein.

Finalement, c’est sur le single "Not Strong Enough" que les trois super nanas de l’indie rock vont briller par les mélodies et le refrain génial (I don’t know why I am/The way I am/Not strong enough to be your man/I lied, I am/Just lowering your expectations). Le solo de batterie accompagné d’un écho presque céleste introduit splendidement le pont (Always an angel, never a god), une phrase simple mais répétée inlassablement pour solidifier son message. Affligées mais passionnées, BOYGENIUS en a marre et rejette l’idée que les femmes doivent être des anges sages et les hommes des dieux qu’on couvre d’éloges excessives… c’est d’ailleurs aussi ce concept qu’elles représentent avec le nom du groupe.

L’instru chill et immaculée de "Anti-Curse" débute par les guitares auxquelles s’ajoute ensuite la batterie et laisse la voix de BAKER s’emporter, accompagnée de ses amies sur de superbes harmonies. "Letter To An Old Poet" clôture ce projet sur le piano, une jolie section de cordes et une BRIDGERS mélodieuse au possible, presque prête à laisser partir les souvenirs toxiques du passé.

The Record est acclamé dès sa sortie, et c’est vrai que cet album a un impact fort ; la profondeur émotionnelle du songwriting, les textures de voix des chanteuses se complimentent et sonnent tout simplement à la perfection lorsqu’elles harmonisent y sont pour beaucoup. La capacité à intégrer leur trois identités musicales pour former un tel trio est à relever, tout comme l’atmosphère intimiste et naturelle de leurs productions. C’est un album triste et joyeux à la fois, mais surtout mélancolique, qui met au premier plan un jeu de guitare de qualité, et qui mérite de se laisser captiver par le talent combiné de BOYGENIUS.