Le choc, plutôt rude, se mesure proportionnellement à la durée prenant place entre la découverte des deux objets. Car quant à celle existant entre les sorties temporelles, elle s’avère ridiculement rachitique. Deux ans. Et un E.P matérialisant concrètement cette frontière, nommé via sa couleur jaune.

Enfin, comment diable peut-on passer d’une fête, bien qu’un peu tétanisée et livrée à quelques courants d’air, à cet abattoir en bonne et due forme ?

La composition des équipes ne nous donne pas d’explication satisfaisante. En cet instant de 1981, GANG OF FOUR n’a pas encore eu à subir les affres d’un départ précipité, celui du bassiste Dave ALLEN qui interviendra toutefois assez rapidement. Ne subsiste ainsi que l'impression d’un désir nourri par la non-répétition et le renouvellement (le syndrome du second album ?), à fortiori après avoir sorti l’incroyable Entairtainment ! qui a redistribué totalement les cartes en termes de post-punk en y ajoutant une dose de funk non négligeable, prouvant qu’on pouvait aussi bien être percutant que dansant. Un album positivement en or massif. Déjà.

L’inscription est dispatchée à l’infini sur le produit, telle une publicité pour une lessive qui pourrait arborer un bleu similaire. Sans doute la même ironie mordante motivait le choix dans l’artwork précédent où on retrouvait cet indien serrant la main d’un cow-boy qui n’allait pas tarder à l’exploiter. Cette sollicitude politique est toujours présente, qu’elle soit clairement explicite jusque dans les mots choisis pour intituler les pièces ou non. On sent cependant que ce sont capitalisme et argent qui risquent d’en prendre pour leurs grades. Un trou dans un portefeuille ?… Que voulons-nous tous ?… L’E.P Another Day/Another Dollar inclus en bonus de la réédition confirme pleinement cette théorie. Mais tout débute par une épilepsie.

Aveuglé… Paralysé.

"Paralysed" initie les débats en se montrant aussi froid et métallique que le barreau d’une prison, aussi rigide que ces lingots susmentionnés en réalité. Rythme syncopé, basse vrombissante, fragments de guitare bruitistes, vocaux déclamés presque discrets pour ne pas déranger cette morgue. Le groupe crée un groove cadavérique sur lequel notre homme politique anonyme déploie un rictus nerveux, pour rappeler qu’il est encore vivant derrière ses lunettes fumées. "Paralysed" est un titre électrostatique qu’on écoute en boucle pendant des jours et des nuits avant de pouvoir sereinement passer à la suite.

Cette mécanique bien huilée se poursuit imperturbablement, nécroses en milieu carcéral ou banquier dans lesquelles les sifflements lointains d’un mélodica se font parfois entendre, servant les desseins d’un album anti-amour qui pue le devoir conjugal à plein nez, "He’d Send in the Army", variation concrète de "Paralysed", ainsi que "A Hole in the Wallet" se chargeant de poignarder vicieusement le machisme primaire (Il n’y a qu’une unique condition/Reste au lit ou dans la cuisine). Lyriquement, les sujets varient entre un il mystérieux voire impersonnel, un je inquisiteur et un nous adapté à la vision politique adoptée par les GANG OF FOUR.

"What We All Want", "If I Could Keep It for Myself", "Outside the Trains Don’t Run on Time", "Cheeseburger", inconfortables grincements de musique martiale – comme indiquée ostensiblement dans "In the Ditch" – irriguent dancefloors congelés peuplés de corbeaux bourrés de tics. Un peu comme si PiL et le précoce SIMPLE MINDS avaient copulé ensemble pour produire ce Solid Gold, un bâtard inquiétant saturant l’air de reflets radioactifs dans une apocalypse iodée, alors que des fenêtres citadines jaillissent visages figés et inquiétants, dont les regards vides inquisiteurs semblent se diriger vers l’homme d’affaires tout de blanc vêtu se dissolvant au cœur de l’avenue.