Il suffit parfois d'un seul titre pour mettre l'auditeur sur une fausse piste et ranger ainsi par la même occasion dans une mauvaise case la philosophie initiale d'un projet. C'est assurément le cas de BLACK MARBLE qui a montré le bout de son nez avec Weight Against The Door, un E.P de cinq titres, puis a ensuite réellement commencé les hostilités en 2012 avec A Different Arrangement, son premier album. Le coupable, pour le meilleur et pour le pire, est le fameux hit underground et glacial "Pretender". Les plus paresseux y ont entendu d'emblée un ersatz de JOY DIVISION, tandis que les autres se sont dits que les choses ne sont naturellement pas si simples et que rester à la surface ne fait pas tout.

En ce début de nouvelle décennie, la vague synthwave avait incontestablement le vent en poupe. Des projets intéressants comme XENO AND OAKLANDER, Martial CANTEREL (la moitié du premier projet cité) ou l'excellent québécois AUTOMELODI, mettaient à l'honneur les synthétiseurs analogiques et le spleen qui allait avec. Mais (il y avait quand même dans cette histoire un mais), cette vague était ressentie par beaucoup d'auditeurs et de critiques comme la quintessence de la hype, un courant prêt à consommer et à disparaître très rapidement. S'il ne s'est pas envolé corps et âme, il a toujours été trop underground pour le grand public et trop mainstream pour l'underground. Résultat des courses, il n'intéresse pas (plus) grand monde.

Lorsque paraît A Different Arrangement, Chris Stewart et Ty Kube ne semblent pourtant guère s'en soucier. L'avenir leur donnera raison car, sans être révolutionnaire, leur premier effort plus de dix ans après sa sortie tient encore globalement la route. Les couleurs de la pochette sont à elles seules parlantes. Elles se marient parfaitement avec les émotions créées. BLACK MARBLE, s'il ne craint pas d'étaler du noir sur ses tableaux sonores, n'en oublie pas pour autant d'en éclaircir certains aspects (la fausse légèreté de "MSQ No-Extra" malgré sa basse plombante). Il n'en demeure pas moins que, jusqu'à présent, ces onze titres restent quand même les plus sombres de la discographie des Américains.

Stewart comme à son habitude chante dans une armoire avec un bâillon bien serré sur la bouche. Paradoxalement, ce chant étouffé, comme atone, n'alourdit pas pour autant les titres. Il leur confère même parfois une surprenante tonalité pop, comme le soulignent avec leur basse sautillante, cette fois-ci, les réussis "UK" et "Static". Ce type d'ambiance ne serait assurément pas renié par l'ORCHESTRAL MANOEUVRE IN THE DARK du début. Déjà, en 2012, BLACK MARBLE a cette faculté d'exposer des morceaux fourmillant de petits détails. Ce sont eux assurément qui rendent l'ensemble moins lisse et monotone. L'écoute au casque permet ainsi de savourer aussi bien les différents effets dark sur la voix de "Cruel Summer" ou qu'à l'instar de "Limitations", les multiples couches de clavier qui créent ainsi une moussaka sonore des plus appétissantes.

Les plus sceptiques d'entre vous trouveront cet exercice de style vain et répétitif mais BLACK MARBLE insuffle toujours au bon moment le coup de braquet qui suscite l'intérêt sur un morceau donné. Les pulsations quasi-industrielles martelant "Safe Minds", et qui s’accélèrent d'un coup à la façon de façon TRISOMIE 21, ou l'étrange et conclusif instrumental "Unrelated", où l'on semble perdu dans une jungle synthétique, rappellent opportunément l'originalité naissante qui se dessine avec A Different Arrangement. La machine BLACK MARBLE, certes discrète, est quant à elle bien en marche.

Avec ce premier album perfectible (pléonasme), BLACK MARBLE propose un monde où la noirceur des notes et des mots n'enlève en rien la sensation d'une synthwave prometteuse et accueillante.