La pochette d'un album, c'est parfois comme une couverture de livre : elle intrigue à défaut de séduire immédiatement, et c'est tant mieux ! Que veut donc bien alors nous dire la jeune Halle GAINES, austère comme une calviniste de Genève, posant ainsi à Los Angeles devant des maisons d'une propreté irréprochable ? Difficile à dire, comme toutes les pochettes de BLACK MARBLE d'ailleurs. Une chose demeure cependant certaine. Elle donne elle aussi assurément envie d'aller un peu plus loin et d'écouter ainsi le deuxième album du précieux projet de Chris Stewart.

A l'image de sa voix feutrée, le New-Yorkais agit lui aussi toujours en toute discrétion. Il fait pourtant partie des artistes sur qui on peut s'arrêter sans hésitation un bon moment. Dans le style synthwave, retrowave, dreamwave (à compléter par l'expert Chipstouille), BLACK MARBLE tient une belle place. Il faut dire, et c'est sans doute l'une des raisons de cet attachement durable, que Stewart est passé maître dans la création d'une poignante nostalgie synthétique. It's Immaterial, c'est la chasse aux souvenirs, ceux que l'on a vécus et ceux que l'on se crée pour se sentir bien, comme en sécurité face à un monde pas vraiment des plus sympathiques.

Cette galette accueillante ne se laisse pas pourtant pas aisément apprivoiser : sous sa froide simplicité apparente, elle fourmille de petits détails qui, en s'emboîtant, donnent à entendre de belles architectures sonores. "Iron Lung" et "Collene" sont devenus ainsi des classiques instantanés de l'Américain et il est facile d'en comprendre les raisons. Stewart avec sa basse tout en rondeur, sa guitare famélique et ses claviers glaciaux délivre une mélodie à la fois forte et minimale. C'est une superbe mélancolie qui suinte à travers chacune de ces notes et de cette voix distante. Ces atmosphères sont autant de moments sur lesquels le temps ne semble plus avoir de prise.

Les émotions qui irriguent It's Immaterial sont donc bien palpables, réelles. BLACK MARBLE les distille avec parcimonie, mais elles suffisent toutefois à délivrer leur dose de frissons. Stewart ne vous bousculera quand même pas. Ici, tout est calme et posé. Parfois, pourtant, tel un NEW ORDER du nouveau siècle, il accélère le rythme judicieusement, comme le soulignent les réussis "Frisk" et "Golden Heart". Genre oblige, le travail sur les claviers, prépondérant, est ici le plus souvent intéressant, même s'il possède une certaine uniformité, ce qui sera nettement moins probant avec les deux albums suivants.

Il n'empêche que si, sur cet album, tout est huilé, à sa place et que rien ne dépasse, It's Immaterial nous offre toutefois des titres entêtants qui, à défaut d'avoir totalement une âme forte, ont souvent du corps. Dans un esprit lo-fi, BLACK MARBLE à coup de basse chaloupée ("It's Conditional...") ou de pulsations qui ressembleraient à une esquisse de joie électronique ("Self Guided Tours" ou le sautillant "Woods") nous emmène ainsi sur des territoires nostalgiques qui réchauffent. Stewart se dévoile tel un véritable archiviste sonore où les ambiances du passé n'ont jamais été aussi contemporaines.

It's Immaterial n'est peut-être pas l'album le plus abouti de BLACK MARBLE, mais il délivre plus de trente minutes synthétiques d'une teneur émotionnelle chargée. Il est la pierre d'un édifice essentiel dans cette sphère qui demeure encore des plus actives.