Procrastiner n’est pas bon pour la santé. Un nouveau slogan qu’un gouvernement quelconque pourrait tout aussi bien diffuser sur les chaînes télé, pour les rares personnes encore flanquées devant leur écran. C’est une suggestion comme une autre.

Deux ans plus tard, me revoilà donc avec un nouvel A CERTAIN RATIO sous le bras après le très bon ACR Loco sorti en 2020 et Loco Remezclada, album de remixes qui avait suivi un an après mais dont je ne pus proprement terminer l’analyse jusqu’à présent. Ne commettons pas la même erreur à nouveau…

En préambule, jetons un œil à cette pochette. Ne pouvez-vous lire le nombre caché dans cet amas de cercles colorés, fameux test de daltonisme que l’on retrouve aisément sur pléthore pages internet, pubs ou autres ? Mauvaise nouvelle pour vous, dans ce cas… Ou pas. Je ne distingue pas plus ni nombre ni lettre, je ne crois qu’ils auront dissimulé quelque chose ici, ces petits farceurs de CERTAIN RATIO. Tout cela ne ressemble finalement qu’à un simple puissance 4 étiré en longueur. Ça tombe bien, 1982 est divisible par 4, en plus d’être le joyau éponyme illuminant ce disque. Mais cet éclat revêt des lueurs étranges.

Un beat rigide, par moments doublé aux congas (ou autres bongos), des synthés crépusculaires, une voix lointaine qui se robotise sur le refrain, "1982" jette un regard ému dans le rétroviseur, année où le groupe anglais sortait deux pièces acclamées de sa discographie que l’on retrouvera sans nul doute un jour sur ces pages : Sextet et I’d Like to See You Again. La chanson plonge ainsi à corps perdu dans la cold wave, exprimant la nostalgie d’un amour lointain mais dont le souvenir demeure agréable. Ce sera le seul instant empreint d’une gravité si manifeste, bien que le recueil stationne dans un clair-obscur mélancolique tout au long de ses quarante minutes que le premier single "Samo" ne présageait pas vraiment.

Faisant référence à la signature utilisée par Jean-Michel Basquiat – d’ailleurs cité dans les paroles – et Al Diaz pour leurs graffitis réalisés dans New York et introduit par une basse mammouthienne, le titre, outre présenter le groove habituel détenu par une section rythmique toujours impeccable articulée autour du trio Jez KERR, Martin MOSCROP et Donald JOHNSON, offre une première invitation à la chanteuse Ellen Beth ABDI que l’on retrouvera tout au long de l’enregistrement, y compris à la flûte sur le très cinématographique instrumental "Tier 3". Autre invité marquant : le spectre de Tony ALLEN via un sample de batterie sur "Afro Dizzy", l’album étant en effet dédié au défunt batteur vu avec Fela KUTI, avec lequel les RATIO n’ont malheureusement pas eu l’occasion de travailler malgré une réelle détermination. D’autre part, Tony QUIGLEY au saxophone et Matthew STEELE aux claviers, déjà présents sur ACR Loco, sont reconduits.

Cette volonté continue d’alimenter sa propre légende se retrouve textuellement dans l’émouvant final "Ballad of ACR", description d’une journée de labeur voire bilan semi-définitif dressé par le groupe sur son aventure musicale et humaine, dont ouverture puis fermeture plus rock sont à furieusement rapprocher des sonorités composées par JOY DIVISION pour "Atmosphere". Construite symétriquement, son cœur bat sur une instrumentation jazz, suite logique des vapeurs acides et méditatives irriguant abondamment un mystérieux "Tombo in M3" où l’ombre tutélaire de Miles DAVIS se fait prégnante.

Malgré quelques moments faibles ("A Trip in Hulme" relativement peu excitant, un "Holy Smoke" tentant de ressusciter avec moins de bonheur le carnaval magique fêtant le "Taxi Guy"), 1982 demeure une bonne livraison, indéniablement, parvenant à conjuguer efficacement passé et modernité, comme ce somptueux hôtel tout neuf, cadre presque complet d’un monde dans le jeu Super Mario Sunshine ; paradisiaque à l’extérieur, mais tumultueux à l’intérieur, où on solidifie des fantômes au préalable frappés pour en tuer d’autres.

Hallucinations, ou simples souvenirs autobiographiques dont on ne sait plus vraiment s’ils furent réels ou fictifs, revenant sous forme de flashes en un incertain ratio.