Patti SCIALFA a toujours des photos très classe pour ses pochettes qui, à chaque fois, font venir la pensée Quelle femme !, sans même avoir besoin d'y inclure son parcours d'épouse et d'artiste, quand bien même ses deux premiers albums solo ont été de franches réussites. Contrairement toutefois à la fois précédente, elle n'attend pas une décennie pour contenter la frange de public qui a bien raison de la suivre ! Seulement trois années (dont celles du SEEGER SESSIONS BAND, 2006-2007) s'écoulent entre 23rd Street Lullaby et ce Play It As It Lays qui nous intéresse. La chose vaut d'être savourée, d'autant plus que... Non, rien, attendons la fin !

Moins long que son prédécesseur d'une petite quinzaine de minutes (trente-neuf au lieu de cinquante-quatre), ce troisième opus solo de Mme SPRINGSTEEN-à-la-ville est réalisé avec la même équipe que le précédent, un peu plus resserrée. Les mêmes amies choristes de toujours, Lisa Lowell et Soozie Tyrell (toujours également au violon celle-ci), bien qu'elles n'interviennent que dès la cinquième chanson (l'autre partie de la chorale du SEEGER SESSIONS BAND, à savoir Cindy Mizelle et Curtis King Jr., figure sur les premières).

Les mêmes musiciens, appelés ici Whack Brothers, parmi lesquels Bruce honey/chéri (plus souvent à l'orgue Hammond qu'à la guitare), Nils LOFGREN l'épatant, Willie Weeks, Clifford Carter et bien sûr le vieil ami Steve Jordan qui co-produit de nouveau l'ensemble avec SCIALFA, sauf que cette fois-ci, on note l'arrivée d'un petit nouveau, à savoir Ron Aniello. Songwriter et producteur depuis le début des années 2000 pour plusieurs artistes de la scène rock indé notamment américaine voire anglaise (il a collaboré avec Ian Hunter de MOTT THE HOPPLE pour l'écriture un titre), il fait ici une entrée discrète dans l'entourage du Boss. SPRINGSTEEN encore très attaché à Brendan O'Brien saura vers qui se tourner lors du grand changement, à partir de 2010 et pour une longue collaboration fructueuse.

Play It As It Lays est, comme le disque d'avant, composé totalement par Patti SCIALFA et tout à son honneur, même si l'on sent que tout ce qui a été fait depuis 2004, hommage à Pete SEEGER compris, donne de nouvelles directions, beaucoup plus vocales, pour une musique gorgée de soul avec un grand travail sur les interactions, des différences notables dans la gestion des choeurs et leur agencement, leurs sonorités. Voyez un peu comment ils sont amenés, sur les refrains certes, mais aussi le pont gospel de "Like Any Woman Could" (oeuvre de Michelle Moore seule cette fois), pop-groovy relâchée et fine, petite splendeur parcourue de la pedal-steel de Nils LOFGREN, du piano Wurlitzer. De même, la touche très 'bubblegum' du trio d'amies Patti-Lisa-Soozie sur "Rainy Day Man", titre soul efficace et séducteur.

L'album commence avec "Looking for Elvis", évocation sans doute lointaine du King pour une narratrice perdue 'au sud de nulle part', avec un son blues rural, des arpèges de guitare et de banjo dont Patti joue elle-même tandis que Bruce 'the Boss' survole le tout à l'harmonica. L'entrée de Jordan à la batterie, les sons de cordes-synthés ne font que s'accorder au verbiage dylanesque de SCIALFA, comme sur l'album précédent, mais avec un on-ne-sait-quoi de maturité vocale en plus. Difficile de ne pas savourer ce caractère de chanteuse plus rauque, joliment pincé, en pleine pop laid-back comme l'est "Town Called Heartbreak", au motif simple.

"Run, Run, Run" plus dynamique et années 1960 dans son inspiration, se laisse écouter de même que "The Word", ballade avec de l'allant, marquée par une de ces belles complicités avec Steve Jordan au 'rimshot'-tambourin, Nils LOFGREN à la slide guitare, Lisa Lowell en montées vocales et Soozie Tyrell au violon. Dans le même registre, difficile de ne pas fondre à l'écoute de "Play It As It Lays", tendre et crépusculaire, où la basse de Weeks sonne un rien PACHELBEL. Encore une fois, dame SCIALFA-SPRINGSTEEN éblouit de distinction : la légèreté de "Play Around", bien qu'imprégnée par une identité plus blues et tribale que rock'n'roll, n'a-t-elle pas tout d'un "I'm on Fire" version épouse et à cinquante ans passés ?

Gros coup de coeur également pour "Bad for You", à l'ambiance folk brumeuse et enveloppante, aride autant que sensuelle, ainsi que "Black Ladder" à laquelle la contrebasse de Jeremy Chatzky (du SEEGER SESSIONS BAND) offre des atours voluptueux, sans parler des cordes en doublure de la voix de Patti, sans oublier le Wurlitzer, la batterie aux balais, le dobro de Nils un peu décalé... Ah, quel plaisir une fois encore, et dont on ne peut hélas que regretter la teneur qui est l'inverse d'un 'à suivre' ! Choisissant de ne pas tourner pour se promouvoir, ayant du mal à faire parler d'elle/se vendre comme elle le mérite (ce disque, contrairement au précédent, parvient à entrer timidement dans le top 100 US), Patti SCIALFA, qui va avoir de moins en moins besoin de materner, n'a toujours point, à ce jour, donné de successeur à ses trois premiers albums pourtant si brillants ! Pardon pour le mauvais suspense annoncé en début de chronique, mais voilà, c'était pour dire ça.