La magie presque écrasante du tube psychédélique "What’s A Girl To Do" a lancé la carrière de Natasha Khan, voix et coeur derrière BAT FOR LASHES et le reste de sa discographie lui a permis de cimenter un son bien particulier, fait d’influences et d’instruments variés. The Dream Of Delphi, sorti au printemps 2024, est le sixième opus de la brune devenue maman depuis quelques années. D’ailleurs, sa fille Delphi, née en pleine pandémie mondiale, est le focus de cet album dont la pochette nous transporte déjà dans un monde intense de musarderie et de douceur.

Natasha nous fait franchir la porte invisible de son royaume dès les premières notes de la chanson titre "The Dream Of Delphi". Derrière son synthé, Khan ralentit le temps et l’adoucit d’une voix aérienne qui semble surgir quelque part d'entre la réalité et les rêves. Enchanteresse, elle appelle sa fille en chantant cette belle incantation accompagnée de la harpe, des cordes et de la flûte ; un parfait petit mélange pour la talentueuse fée de l’indie-pop (Touching this air, playing with angels/Breathing a new transmission, falling from the sky/Deeper my love is soaring, soaring so very high).

La voix délicate de Natasha s’échappe tout juste, comme un murmure chuchoté au creux de la nuit sur "Christmas Day", le murmure précieux d’une mère pour sa fille, comme si chaque mot naissait d’un secret (You’re a gift, you’re a gift/You’re from me but you’re not mine). Ses paroles se posent sur les mélodies éthérées, comme des fragments d’âme qu’on ne saurait trop dévoiler. Cette façon si singulière d’écrire ses textes, à la manière d’un poème, loin des formats musicaux traditionnels, apporte une grâce mystérieuse à la musique de BAT FOR LASHES, comme en témoigne "Letter To My Daughter".

On se sent tout petit, désarmé, à l’écoute de la splendide ballade exclusivement au piano "At Your Feet". La revoilà, la petite fée qui dégaine des caresses musicales et des bribes de magie flottant dans l’air avec ténacité. C’est beau, tout simplement. "The Midwives Have Left" et "Her First Morning", deux pistes instrumentales où Khan harmonise subtilement dans une ambiance presque irréelle menée par son harmonium, proposent des instants de flottement travaillés avec une précision d’orfèvre. Si les compositions de BAT FOR LASHES restent riches en éléments électroniques, The Dream Of Delphi est, dans un sens, merveilleusement minimaliste. Il y a un vrai équilibre dans le ballet envoûtant des instruments utilisés par l’Anglaise.

Vaporeux et cristallin, le bain de son se poursuit encore avec deux instrumentaux : les nappes de synthés brumeuses de "Breaking Up" se mêlent à la perfection au saxophone lancinant pour créer une sorte de fable soft jazz des plus réussies ; mais aussi "Waking Up" dont les pulsations électroniques sont nettement plus marquées et dont le vibraphone vient renforcer la beauté et l’effervescence des nouveaux jours.

"Delphi Dancing" est également plus lourde en effets électroniques et le titre "Home", clairement plus pop, me confirment que je préfère entendre BAT FOR LASHES sur des compositions plus ensorcelantes et plus nuancées. Heureusement, Natasha termine l’album sur une version bonus de "The Dream Of Delphi", plus longue et avec plus de cordes, laissant des espaces vides où on se laisse envahir par l'atmosphère contemplative et le monde secret que la chanteuse décrit avec pudeur et élégance.

Multi-instrumentiste, Natasha Khan crée un dialogue entre la musique et l’âme. Celle de Natasha est libre et avec elle, la beauté nait de chaque note. Sous sa plume, les thèmes universels et aussi simples que l’amour d’une mère pour son enfant prennent un aspect singulier. The Dream Of Delphi est sans aucun doute l’une des oeuvres les plus poétiques de BAT FOR LASHES, un rêve éveillé où Natasha nous touche du bout de ses instruments pour effleurer nos émotions les plus profondes, pour nous laisser vagabonder dans son univers fragile. Fragile, pas dans le sens de faible, mais fragile de beauté, comme un bruissement d’aile aussi vaste que l’univers.