Janvier 1966. La deuxième moitié des sixties commence et l’invasion british continue. Le SPENCER DAVIS GROUP a toujours une allure un peu anodine, pourtant, ils sont tout juste revenu avec le single "Keep On Running", leur premier tube qui devient numéro un, et livre un deuxième album tout simplement intitulé The Second Album. À l’époque, le SDG ne casse pas plus la tête qu’avant pour prouver leur créativité car il y a une tonne de bons sons venus tout droit d’Amérique à faire connaître à leur public anglais. C’est une période charnière pour la musique aux UK et des groupes comme le SDG ou les ROLLING STONES dont l’objectif est de jouer du vrai rhythm and blues américain mais avec l’énergie nerveuse qui caractérise la jeunesse anglaise.

Porté par Steve WINWOOD qui, du haut de son jeune âge, chante avec l’âme d’un Ray CHARLES la quasi totalité des chansons de ce deuxième opus, le SDG reprend "Look Away" de Garnet MIMMS, un morceau sorti trois ans plus tôt. Le jeu d’orgue de Steve transforme le titre et lui donne une nuance encore plus soul. Le groupe puise encore dans des tubes venus des States comme le très bon "Watch Your Step" de Bobby PARKER. Ici, le band se permet davantage de liberté grâce au sens du riff de Spencer DAVIS qui reste cependant toujours fidèle au blues originel.

Il y a aussi "Georgia On My Mind" bien sûr, standard du rhythm and blues immortalisé en 1960 par Ray CHARLES. Ça aurait pu très mal se passer, cet exercice de style, mais WINWOOD l’interprète avec une maturité et une ferveur qui frôle la perfection. Sa voix à la fois rauque et veloutée rugit comme sortie d’une autre époque, c’est assez stupéfiant. Il enchaîne des nuances de crescendo qu’il module avec une expressivité folle et des inflections presque gospel, pendant que Pete frappe le rythme de manière feutrée sur sa batterie, tout est au service de l’émotion.

Le single "Keep On Running" est le premier du groupe à se hisser en haut des charts. Enregistré en 1965 par le reggaeman jamaïcain Jackie EDWARDS, le morceau est joué ici par le SDG dans un concentré très British : la guitare de DAVIS tranche alors que la batterie est cette fois-ci bien plus sèche et agile dans son attaque. Quelques titres sont d’un intérêt moindre, tels que "Please Do Something", "You Must Believe Me" ou encore la chialante "Since I Met You Baby", chantée ici par notre leader nominal discret, Spencer.

DAVIS est mille fois meilleur en donnant sa voix à la country de Stonewall JACKSON sur "I Washed My Hands In Muddy Water". Sérieusement, c’est vraiment bien joué et chanté, qui croirait que ces quatre mecs ne viennent pas, eux aussi, de Nashville ? Steve reprend le chant sur "Strong Love", un chouette morceau initialement joué par le groupe The MALIBUS en 1964. Ambiance légère au groove dansant sur ce tube clairement sous-estimé, au tempo moite et à la basse ronflante géniale, assurée par Muff WINWOOD.

La vraie pépite parmi les reprises de cet album, c’est "Let Me Down Easy", chantée à l’origine par la chanteuse américaine soul Bettye LAVETTE mais ce titre va tellement bien à la voix de Steve que je préfère la version du SDG. Vous y trouverez l’une des meilleures performances vocales du frontman et un équilibre parfait entre le rhythm and blues et la tension électrique de la guitare de Spencer, on virerait presque au blues-rock tendance psychédélique, personnellement j’en redemande ! Qu’est-ce que DAVIS est bon sur son solo sobre mais tellement pénétrant. Il y a quelque chose d’un peu roots dans ce titre que le SDG s’approprie magnifiquement, sans que ça ne sonne jamais faux.

Deux titres originaux seulement, tout d’abord "This Hammer" où tous les membres du SDG brillent avec la même clarté en évoquant cet esprit de complainte ouvrière, comme si nos quatre gars de Birmingham jouaient ce blues rural pour les mineurs américains. Il y a aussi "Hey Darling" sur la face B, sublime chanson écrite et composée à quatre mains par Steve et Spencer. WINWOOD porte le titre par sa voix légèrement saturée qui donne cette dangereuse impression qu’il chante rien que pour vous. La technique vocale subtile mixe encore une fois la soul, le blues et le gospel dans une interprétation hautement voluptueuse. La batterie roule, lascive alors que l’orgue palpite, on reste sur le fil du rasoir en écoutant cette soul brute jusqu’au bridge instrumental où Spencer plaque ses accords avec un sex-appeal incisif. Pour résumer, c’est une track incandescente qui mérite d’être au moins aussi connue que "Keep On Running".

Trop de reprises à mon goût, mais que voulez-vous, c’était comme ça à l’époque ? The Second Album n’échappe peut-être pas à la coutume mais parvient sans aucun problème à capturer l’approche très soul et organique du SPENCER DAVIS GROUP. Les membres semblent tous au firmament de ce qu’ils jouent, et à l’unisson. Ici, il n’y a presque pas de place pour le superflu, il n’y a quasiment aucune longueur alors le plaisir reste intact de bout en bout. Un album classe qui montre déjà que le SPENCER DAVIS GROUP n’est pas juste un groupe de reprises inspirées, mais un véritable collectif soudé par une même vision : jouer pour vibrer.