Une fois évacuée – la tentative n’a en réalité que peu de chances de se produire – la pensée d’un intitulé philosophique fascinant, vient ensuite rapidement un second problème. Comment traduire ceci ?

La syntaxe joue les images, bien que hasardeuse au niveau du sens à tel point qu’on croirait presque à de l’écriture automatique, s’avère toutefois possible vu le pedigree de TRISOMIE 21 qui nous a habitués à créer aisément de riches tableaux aux couleurs variables via des moyens dérisoires. Aussi et surtout, ce qui nous guide vers ce groupe nominal en premier lieu, c’est le format de ce disque, composé de nombreuses et brèves vignettes souvent instrumentales qui, bien qu’abstraites, parviennent toujours à diffuser une émotion, une image, un visage parfois enfoui aux tréfonds du subconscient. (L’explication finale tiendrait apparemment au fait que l’album était prévu à la base pour illustrer documentaires et courts-métrages… Dont acte.)

Ceci posé, on peut réfléchir à une autre signification, moins terre-à-terre. T21 joue le jeu ? C’est possible mais lequel ? "One Last Play", inaugurale pièce faisant figurer le chant si particulier de Philippe LOMPREZ – il sera d’ailleurs assez discret sur l’album – explicitera-t-il la route que le collectif français trace sans regarder ce qu’il se passe autour de lui, sillon unique et précieux ? À moins que T21 nous mène simplement en bateau, s’amusant comme un chat avec une souris, partie malsaine et morbide, en attendant de voir si on va réussir à le démasquer. Mais on court. Comme des dératés. S’épuisant comme l’anonyme Jack peu habitué à de tels marathons, a fortiori quand ceux-ci prennent place dans des endroits inhabituels : forêts vierges, paradis perdus, tropiques cancéreux.

Cette respiration saccadée est l’un des éléments constitutifs fondamentaux de l'immense exercice de style auquel nous convie le groupe nordiste. Au-delà d’un jeu des 23 différences, le sentiment se dégageant de T21 Plays the Pictures est véritablement celui d’une irrépressible impression de déjà-vu. En effet, chaque morceau, dans un accès de cannibalisme insensé, pourtant logique lorsqu’on songe à la jaquette du fondamental Chapter IV, semble se nourrir goulûment de sa progéniture plus ou moins immédiate : des bribes de guitare presque heavy, un homme hurlant à pleins poumons New York, un rythme saccadé, des chœurs religieux. Tout cela au service de fragments aux mystérieux intitulés exclusivement anglophones et souvent numérotés appelant à des suites, précédents voire droits de réponse.

De ces instants en apnée, jaillissent deux classiques instantanés dont le groupe garde jalousement le secret d’élaboration. "Bamboo Pt. 1", après une étrange introduction entremêlant bruits naturels, tension orageuse tissée par une guitare électrique et lancinant emprunt blues, développe une immersion totale en dangereuse végétation tropicale, le cerveau songeant inexplicablement aux verdures que met en scène le génial recueil Byrd in Flight du célèbre saxophoniste de jazz. Son contrepoint urbain "Take the Shock Away" est encore plus extraordinaire, mixant sa fraîcheur avec la rigueur incandescente presque krautrock de virées autoroutières sur les immensités labyrinthiques goudronnées. Sans doute l’un des morceaux définitifs de TRISOMIE 21 où figure un certain Bruno OBJOIE invité à la guitare.

Un T21 jouant irrévocablement le jeu. Et ne nous laissant guère le choix du coup suivant à vrai dire, le regard rivé sur le sablier. Le fou arborant une crête punk prend la reine trônant sixième case tel un cap à franchir, celui de l’arrondi au supérieur agrégeant un second chiffre dans sa tribune.

Il y a bien quelqu’un à la maison, écoutant derrière la porte. Un mystérieux inconnu, ne pouvant se résoudre à choisir entre réalité et cacophonie.

[La version chroniquée de l’œuvre est celle du CD édité par PIAS en 1990.]