TRISOMIE 21 ou le culte de l'underground grand public. Le cas de ce groupe né à Denain en 1980 est atypique et ceci est d'autant plus remarquable que les entités fortes et originales dans la sphère qui nous intéresse ici ne sont naturellement pas rares. En avance sur son temps, sans concession, maladroit, secret, touchant, la liste caractérisant le projet des frères LOMPREZ pourrait s'étendre à l'infini. En connaissez-vous beaucoup des artistes qui ont aussi bien nourri les rêves des adolescents de la nuit que font les plus belles heures, il y a fort longtemps, de l'animateur MAX sur FUN RADIO ? Cet exemple de large éventail émotionnel dessine parfaitement les contours de la créature TRISOMIE 21. Une sorte de funambule parfois insaisissable qui depuis plus de quarante ans a pour essence la différence.

TRISOMIE 21 aurait pu naître à Manchester. Le gris des paysages, la crise économique et ses usines qui ferment lui ont assurément donné cette direction musicale, dès ses premiers battements de cœur. En ce début de décennie grise, ce n'est pas encore l'époque du concept rentable des poseurs et de la hype. Prendre pour nom TRISOMIE 21 comme pour mieux souligner une plus grande sensibilité et faire fi de la soi-disant idée de normalité, c'est déjà se couper d'une réception critique plus large. Le groupe ne fait que rechercher l'émotion, qu'elle soit synthétique ou électrique. Les Nordistes n'ont dès lors pas leur pareil pour faire épouser à leurs ambiances d'étranges formes instables qui le plus souvent s’apparentent à de fragiles tableaux sonores.

The First Songs est donc une compilation regroupant les deux premiers efforts du groupe. Le Repos des Enfants Heureux (1983) et Passions Divisées (1984) sortis à l'époque de façon relativement confidentielle. Avec ces treize titres, TRISOMIE 21 n'est pas loin de conforter l'idée consistant à penser qu'un artiste donne le meilleur de lui-même durant ses jeunes années. Si des influences sont palpables, les frérots ont cependant réussi à développer dès leurs débuts un univers particulier. Bien sûr, les ombres de JOY DIVISION, KRAFTWERK ou CURE pointent le bout de leur nez ici et là, mais ce n'est pas l'essentiel. A travers ce périple, TRISOMIE 21 nous offre deux visages. Un relativement traditionnel, celui d'une cold wave en apparence totalement désincarnée, et un autre électroniquement plus expérimental et inquiétant.

Cette galette contient avec cette première face déjà quelques classiques en son sein. Il faut bien reconnaître que le combo a en effet d'entrée de jeu frappé fort. Que l'on pense simplement à "La Fête Triste", superbe pièce instrumentale qui évoquerait une sorte de fête foraine cauchemardesque, ou "Il Se Noie", l'un des rares titres chantés en français et qui intrigue par cette voix perdue dans les profondeurs océaniques. Déjà à la marge. En parlant de bordure, "Coming From Darkness" révèle par exemple toute l'originalité du groupe. Si la basse typée ne surprendra (presque) personne, la voix de Philippe LOMPREZ lançant ses appels en cold waveux oriental a de quoi éveiller l’intérêt. Ici, la voix qui a très souvent été critiquée (ainsi que l'accent) est comme un instrument. Elle imprime une fragilité émouvante (le bancal "Love For A Life"). Elle se confond, fait corps avec les autres instruments à l'image des froids et prenants "Logical Animals" et "Breaking Down" que viennent ponctuer sur ce dernier une belle guitare triste et un clavier-clavecin façon STRANGLERS.

Avec son autre visage, moins conventionnel, c'est un voyage tout aussi excitant qui se profile cependant. Nous ne sommes vraiment pas certains de trouver au loin le bout du tunnel et la lumière qui va avec mais il en vaut amplement la peine. Que penser en effet d'un morceau comme "Is Anybody Home? (Part 1)"? Aux claviers stridents et à la boite à rythme incessante vient se greffer une voix saturée, inaudible. L'inconfort quasi industriel de la chose en fait toute sa saveur. Un peu comme avec l'introductif "See The Devil In Me" véritable collage sonore mélangeant habilement vagues de synthés, chœurs féminins théâtraux et la voix toujours aussi déroutante de LOMPREZ. TRISOMIE 21, et c'est ici qu'il compte, fait acte d'originalité en réussissant à créer un monde aux frontières toujours mouvantes. Ce dosage permanent entre vagues froide et électronique dissonante a pour résultat l'improbable et répétitif "Moving By You" qui en moins de deux minutes réussit à vous donner de sacrées bouffées d'angoisse. Le combo à l'image de l'éreintant "There´s Something Strange Tonight" peaufine cette formule qui sera développée en différents dégradés selon les albums. Une forme d'expérimentation naïve qui n'en est dès lors encore que plus touchante.

TRISOMIE 21 pour toutes ces raisons et pour bien d'autres encore est unique. Cette compilation est une excellente introduction pour (re) découvrir un projet qui n'a jamais cessé de marcher sur le fil des émotions. A la fois toujours proche de la chute et si finement en équilibre. En funambule en somme.