En 2007, elles étaient encore les visages frais et marketés de Disney Channel, prêtes à conquérir les teenagers avec une power-pop bien calibrée mais personne ne devinait qu’un jour le duo ALY & AJ allaient retourner leurs vestes et transformer leur univers en virant folk, ce qu’elles ont fait avec succès dans leur dernier album With Love From. Vingt ans après leurs débuts, les deux soeurs signent Silver Deliverer, un disque élégant qui poursuit cette évolution avec encore plus d’assurance. Loin des clichés de la pop adolescente, leur musique se démarque désormais par une maturité musicale notable : des compositions et des textures plus riches, elles prennent le temps d’explorer et d’habiller leurs chansons d’arrangements minutieux, quelque part entre la folk vaporeuse et la pop-rock californienne.

La chanson-titre "Silver Deliverer" sert d’introduction à ce nouveau chapitre mais pas besoin d’intro timide, elle démarre au quart de tour avec une guitare électrique qui entre d’emblée, pleine de réverbe et une batterie brossée doucement. La basse glisse sur une production très aérée et les harmonies des sœurettes s’élèvent avec une grâce presque incantatoire. On y perçoit clairement la volonté de s’inscrire dans la lignée des grandes conteuses de la côte ouest, où plane l’esprit de Stevie NICKS, muse éternelle du folk-rock californien.

Passage obligé, les ballades doucerettes bien sûr qui occupent aussi leur place sur Silver Deliverer. ALY & AJ s’en charge avec classe je dirais car elles évitent le piège du sirupeux qui m’ennuie généralement. Un peu de guitare sèche dans l’ambiance joliment ouatée de "Michael" avec son violoncelle profond, le single "If You Get Lonely" qui reste dans le même genre et qui s’appuie sur des harmonies vocales finement tressées qui évoquent les envolées lunaires de Lana DEL REY. Un peu plus rythmée, l’ambiance de "Take Your Time" reste malgré tout assez méditative bien qu’on se perde un peu dans des effets vocaux superflus. Finalement, dans l’ensemble, ALY & AJ ont le souci de la texture et elles rajoutent ça et là quelques claviers analogiques qui viennent enrichir l’instrumentation sans pour autant l’alourdir.

"What It Feels Like" et "Next To Nothing" sont des singles plutôt chouettes grâce à leur tempo bien appuyé et des mélodies radieuses, plus typiques d’une pop ultra lumineuse. ALY & AJ laissent temporairement de côté les atmosphères contemplatives pour renouer avec une écriture plus vive ainsi que des rythmes nets qui donnent envie de bouger et qui accrochent dès la première écoute. Les cordes appellent à l’aventure dans "Next To Nothing", surtout cette guitare slide si fluide, qui vient couronner le tout en nous invitant à rêver d’autres paysages.

"Dandelions" est un autre single lumineux, dédié au fils de ALY, récemment devenue maman. Sa voix est très belle, elle étire et suspend les mots comme un fil tendu prêt à se rompre, mais qui résiste, tenue par l’émotion et un picking de guitare déterminé et précis. Le ton joueur et entraînant, presque country, et les percussions trottinantes de "Lasso" ne suffisent pas totalement à faire décoller la chanson, exactement comme dans "Places To Run" qui se termine par un joli final instrumental. Cela dit, le niveau reste tout à fait satisfaisant et plutôt solide quand on se souvient où elles ont fait leurs premières classes.

En revanche, il y a une grosse ombre au tableau qui vient assombrir cette belle cohérence : le morceau dream-pop "I Don’t Know What It Is". Et honnêtement moi non plus, je ne sais pas très bien de quoi il s’agit. Le chant saccadé des couplets m’agace comme jamais et casse l’élan organique qu’on peut apprécier tout au long de cet album. Le synthé ambient tente de donner un petit coup de neuf à cette esthétique folk pourtant bien réussie jusqu’ici, mais il ne parvient pas à masquer le caractère un peu bancal de cette chanson. C’est comme si ALY & AJ avaient voulu injecter un peu trop d’électronique, en se plantant ici dans la recette.

Heureusement, le single "Sirens" est là pour remettre les choses en ordre et nous faire oublier tout ça ! La chanson la plus dramatique du lot, lente avec sa guitare électrique en arrière-plan qui prend une ampleur cinématographique et lui administre du grain très particulier. La production est pleine d’espace, c’est beau et puis il y a ce texte, tout en tension lourde (Another day in America/We wait around for the change that never comes). Difficile de ne pas penser à Lana dans cette façon de chuchoter le désenchantement américain sur fond de poésie et de belles mélodies. C’est poignant et incarné, bref, tout ce qu’il faut pour me donner envie de me la passer en boucle.

Musicalement, Silver Deliverer semble montrer que ALY & AJ sont arrivées à maturité. J’ai beaucoup aimé les notes americana, les chœurs bien travaillés et ces guitares vibrantes qui sont systématiquement présentes sur tout le projet telle une épine dorsale. Modestes mais sincères dans leur interprétation, pour ma part j’ai déjà oublié leurs tubes de pop adolescente, un univers qu’elles déconstruisent patiemment à coups de guitares slide et d’harmonies crépusculaires.

Note réelle : 3,5