C'est une étrange mise à nu. Cet album conçu par le Québécois Pierre LAPOINTE pour faire porter sa voix chaude et suave sur le vieux continent (l'album sera finalement et également distribué au Canada) est le fruit d'une démarche intéressante : celle de revisiter son répertoire en le dépouillant de ses arrangements, et en proposant des versions piano / voix de titres issus de ses précédents albums. Pour ceux qui le suivent depuis ses débuts, peu d'effet de surprise : en effet, derrière les exubérances scéniques et les paillettes, il y a toujours eu chez Pierre LAPOINTE un cœur qui bat immodérément pour la chanson à texte, pour la fragilité assumée, pour ce lyrisme à fleur de peau que l'on peut entendre chez BREL ou BARBARA. Publié en 2014, Paris Tristesse ne fera que peu frémir les charts en France, avec une modeste 73è place. Mais finalement, là n'est plus important, car trois ans après le formidable live Seul au Piano (tout est dans le titre), cet album nous donne à découvrir ce qui se cache derrière le masque et les tenues exubérantes : un piano, une voix et du silence.

Pierre LAPOINTE prend ici le contrepied total de l'électrique et saturé Punkt, et conçoit cet album ouaté comme un huis clos sonore. Enregistré à Paris, en quelques jours seulement et dans les conditions du live, Paris Tristesse présente 15 titres, dont un inédit et trois reprises, tous portés par une volonté unique de présenter une musique crue, franche, à la fois triste, mélancolique et résolue, sans fausse pudeur. Un ressenti que confirme l'artiste : "Je voulais toucher les gens davantage. J’ai décidé d’être plus direct, plus brut dans les mots."

Et en effet, les phrases cognent comme cogne le marteau sur les touches du piano. LAPOINTE chante, d'une voix chaude et enivrante l'amour défait, la solitude des chambres d'hôtel, le sexe vain, le spleen de ceux qui n'attendent plus rien de la vie. L'interprétation se fait sans artifice, telle une photo sans retouches. Le résultat et très intime, mais également particulièrement intense. En atteste cette version époustouflante de "Je Déteste Ma Vie", sans doute la plus poignante proposée par l'artiste, dont qui se charge d'émotion alors que les images employées par l'artiste se font de plus en plus fortes.

Ce serait une erreur de croire que l'album est, par le choix des morceaux qui le composent, plombant ou larmoyant. Il y a dans cette mélancolie une forme de grâce et de lumière, qui rejaillit à certains moments ("Au 27/100 Rue des Partances"). Les textes, dans cette mise à nu, frappent par leur précision, à l'image de "Les Lignes de ma Main" ou "Nos Joies Répétitives", qui évoquent avec poésie et une élégance minimaliste un quotidien vidé de sens. Il y a ici de grandes interprétations, notamment l'inédit "La Plus Belle des Maisons", ou encore "Tel un Seul Homme", sans doute le plus beau texte évoquant l'inéluctable destin tragique qui viendra tous nous frapper un jour.

En fin d'album, Pierre LAPOINTE rend hommage à FERRE ("C'est Extra"), à BARBARA ("Le Mal de Vivre") et à Aznavour, "Comme ils Disent" étant le seul morceau de l'album sur lequel le piano laisse place à la guitare. Ce dernier texte, notamment, semble avoir été écrit pour le Québécois, qui se fait souvent le porte-voix de ces gens qui, par un pas de côté, vivent une vie en écart de ce que la "norme" exige. En épurant les morceaux et en ralentissant les tempos, le chanteur nous invite à écouter attentivement et redécouvrir ces textes puissants, qu'il porte avec tendresse et chaleur.

Avec Paris Tristesse, Pierre LAPOINTE propose une relecture savoureuse et maîtrisée de son répertoire, en en soulignant la richesse textuelle et la portée émotionnelle. Débarrassés de tout vernis, ces titres prennent une dimension nouvelle, plus brute, plus directe, sans jamais tomber dans l’excès. Voici un album qui s’impose comme une œuvre de transition, se faisant à la fois retour aux sources et affirmation artistique. Un disque sincère, exigeant, qui confirme que derrière l'image de dandy baroque qu'il renvoie, le Québécois est avant tout un auteur-interprète grande classe.