Nous entrons dans Shouting At The Ground non comme on entre dans un moulin, mais plutôt comme on se fraie un chemin dans un bazar, un souk immense, où tout ne serait que tintamarre de cloches, de gongs, de lamentations tibétaines et de flûtes en forme de tornades.

Plus difficile à décrire qu’à appréhender, la musique de ZOVIET FRANCE est ici plus que jamais pagan musik, c’est-à-dire musique de ceux qui cultivent et entretiennent la terre et les profondeurs de celle-ci. Un son de flûte qui s’évapore dans la grondante atmosphère d’une lourde soirée d’été en plein désert, quelques accords de cordes rouillées sautillant comme des puces parmi la jungle de poils de l’hôte, beaucoup de bruits surtout – bruissements multiples allant du souffle brûlant d’Afrique à l’industrielle rythmique des adeptes de Shiva.

Concrètement, la première partie est un bel enchevêtrement de pièces de durée moyenne, tantôt fortement brumeuses ("Smocking Erde", "Come To The Edge") tantôt précieuses et aiguisées (la psychédéliquement raffinée "Palace Of Ignitions") ou alors orageuses ou carrément dérangées mais sous contrôle (l’insistante "Stocc Blowers", "Carole The Breedbate") et qui toujours nous tiennent en haleine et en émoi.
La seconde partie, composée de deux morceaux objectivement conséquents en termes de temps et d’espace, est une aventure à elle seule. Tout d’abord "Shamany Enfluence", sorte de longue prière étalée sous fond de trompette tibétaine et de delay sous-marin. Un véritable morceau de bravoure, audacieux et si étrangement émouvant. Puis vient "The Death Of Trees", beaucoup plus nonchalante et sombre, avec son chant d’imam comme englué dans les entrailles de la terre et son occasionnelle rythmique sourde et obstinée, façon MUSLIMGAUZE, avant que de finir dans le vide interstellaire qui, tôt ou tard, nous absorbera.

J’ai mis quelques temps à apprivoiser ce sauvage, ce profond Shouting At The Ground, plus déroutant que le très vaporeux Misfits, Lonny Tunes And Squalid Criminals et plus habité encore que le légendaire Monomishe. Mais il fait maintenant partie de la famille, de même qu'il est objectivement considéré comme l’un des travaux les plus aboutis de l’ensemble musical connu sous le nom originel de : ZOVIET*FRANCE :

Rêche, liquide, chinois, grondant, déchirant, boueux, perçant, bordélique et bouleversant. Bref, un disque de toute une vie – un de plus.

Il faut aimer le vent, le soleil et la pluie, l’air qui est calme, l’air qui est agité ; mais ce qu’il faut aimer aussi, ce qu’il faut aimer peut-être surtout, c’est de sentir venir cette irrésistible montée, la chaleureuse impulsion du dedans.
Ramuz, "Besoin de la terre"