La rose noire. En Irlande, un symbole de rébellion et de liberté. Pour les DROPKICK MURPHYS, 30 ans au compteur, la lutte n'a jamais cessé. "Nous avons toujours porté le même message, et nous n'avons jamais eu peur de parler de ce qui nous semble important", explique le chanteur Ken Casey. "Je pense au futur de mes enfants, à celui de la prochaine génération. Nous leur parlons de tout, des injustices, et nous nous assurons de prendre le temps de dire à nos proches combien ils nous sont chers." Dans la banlieue de Boston et sur les scènes du monde entier, le groupe américain n'a eu de cesse de parler haut et fort, de faire bouger les lignes, de fédérer ceux qui, comme lui, ne se satisfont pas d'une léthargie mortifère. Sur ses deux précédents albums, la formation a fait un pas de côté, reprenant à son compte, et à grands renforts d'arrangements acoustiques, le répertoire d'un autre rebelle, Woody Guthrie. Pour son treizième album, le groupe revient à un son agressif et chantant, fidèle à la tradition celtic-punk du groupe, dont il reste un des représentants les plus salués à travers le monde, les carrières de FLOGGING MOLLY et de The REAL McKENZIES s'étiolant pour des raisons diverses. Mandoline, guitares électriques, batterie percutantes et chœurs fédérateurs de cet album ramassé, véritable retour aux sources, et une des réalisations les plus savoureuses des Américains. Diffusé uniquement au format digital dans un premier temps, For The People fera l'objet d'une sortie physique courant octobre.

C'est un album plus ramassé que ses prédécesseur. Là où le groupe faisait preuve, sur ses premiers albums, d'une rage punk incontrôlée, les années d'expérience l'ont aidé à canaliser son propos, à structurer ses morceaux d'une manière qui rend leur écoute délectable. Quand ils jouent la carte de l'énergie pure, les DROPKICK fédèrent et porte haut cet étendard de la solidarité. "Fiending for the Lies", "The Big Man" sont quelques exemples de cette énergie qui voit le groupe dénoncer la précarité et le pouvoir des élites politiques et économiques, ou se faire plus léger en célébrant son amitié avec Fletcher Dragge, visiblement truculent guitariste de PENNYWISE. Lorsqu'il pousse les curseurs vers le folk, le combo touche également juste, proposant avec "Chesterfields and Aftershave" une ode à ce grand-père qui se révèle être celui que nous connaissons tous, un peu bourru, porté par une générosité sans limites. Ken Casey aborde un autre souvenir d'enfance avec "Streetlights", titre évoquant le décès de son père alors que le chanteur n'était âgé que de 8 ans. Sur "The Vultures Circle High", nous ne sommes pas loin du chant de pirate, façon PADDY AND THE RATS, alors que le morceau, porté par un refrain splendide, marque le retour en tant qu'invité du chanteur Al Barr. Sa voix éraillée, identifiable entre mille, apporte une émotion liées à ces retrouvailles, et les paroles traitant d'organisation, de réaction face à l'oppression, se font sans doute un clin d'œil à son propre retrait pour raisons familiales en 2022.

D'autres collaborations se révèlent ici marquantes. Notons ainsi la participation des membres du groupe The SCRATCH sur "Longshot", titre aux ambiances maritimes assez prononcées (l'accordéon est ici au premier plan), ainsi que sur le pont de "One Last Goodbye", titre écrit en hommage à Shane MacGowan, regretté chanteur des POGUES. Le jeune groupe The MARY WALLOPERS apparait pour sa part sur "Bury The Bones", et leur son folk-tradi brut donne un côté "protest-song" moderne à ce morceau, et renforce sa dimension contestataire. Cette chanson contre les institutions corrompues, le clergé, l'élite économique, est porté par une ambiance sombre et militante, et un tempo plus pesant. Enfin, le chanteur anglais Billy BRAGG apparaît sur "School Days Are Over", reprise d'Ewan MacCOLL évoquant le travail des jeunes mineurs. Sa voix militante participe à faire de ce morceau intense un bel hommage transgénérationnel, dans la lignée de ce que le groupe a pu faire lors de sa période consacrée à Woody Guthrie.

Loin de faire sa révolution, le groupe propose ici une évolution maîtrisée. Les DROPKICK MURPHYS, à l’aube de leur quatrième décennie d’existence, prouvent avec For the People qu’ils ont encore des choses à dire, des colères à exprimer, et des souvenirs à honorer. Sur cet album compact et varié, ils réinjectent du cœur, de la sueur et de la conviction dans un punk celtique qui pourrait, chez d’autres, tourner à la routine. Ici, à chaque chanson sa raison d'être, à chaque refrain sa cause. Le groupe retrouve une forme d’équilibre salutaire, et renouvelle sa fidélité à ses racines, à ses combats et à son public. À l’heure où tant d’anciens punks se contentent de surfer sur leur passé, les DROPKICK, eux, avancent, poing levé, toujours du côté de ceux qui n’ont pas de micro.