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- Style : Joni Mitchell

Leonard COHEN - Songs Of Love And Hate (1971)
Par SUNTORY TIME le 9 Juin 2012          Consultée 5161 fois

Elle est partie...

Un mot griffonné près du téléphone. Rien de plus. Froid et distant. Je reste là, à relire le message des dizaines de fois, pour être sûr d’avoir bien compris. Elle est partie. Je fouille chaque pièce, haletant. Ses affaires ne sont plus là. Rien. Plus une trace d’elle.
L’appartement me semble vide, prive de sa chaleur. Merde. Je m’affale sur le sofa. Inerte. J’ai l’impression d’être mort. Mais un mort ne peut pas ressentir un tel chagrin, ce qui me laisse penser qu’il reste un peu de vie en moi. Je voudrais pleurer toutes les larmes de mon corps. Mais rien ne coule. Sec. Un corps desséché, voilà ce que je suis.
Le chagrin doit se vivre seul. Je l’ai lu dans un dessin de Sempé. J’essaye de faire face. Je me regarde dans la glace de la salle de bain, je suis comme dévasté. C’est fou comme on peut être détruit en l’espace de quelques heures. Cette rupture est si brutale qu’elle annihile tout. Comme une avalanche.

Une avalanche. Le mot résonne en moi comme une évidence. Je retourne vers le salon, empli d’obscurité. De cette obscurité typique des jours d’hiver, quand le brouillard empêche toute lumière d’éclairer les espaces intérieurs. Je fouille dans mon étagère à disques. Mes mains tremblent, mais j’arrive à tomber sur le vinyle que je cherche. La pochette est noire, d’un noir abyssal. Avec cette grosse typographie blanche, agressant l’œil par ce contraste brutal. Et dans le coin en bas à droite, Leonard COHEN, dévoilant un visage souriant, mal rasé, en pleine période hippie. Sacré Leonard, il se fout bien de notre gueule. Car rien ne fait sourire sur ce disque. Songs of Love and Hate, 'Chansons d’Amour et de Haine'. Tout un programme. Et au dos du disque, non les titres des fameuses chansons, juste ce poème énigmatique :

They locked up a man
Who wanted to rule the world
The fools
They locked up the wrong man


'Ils ont enfermé un type
Qui voulait diriger le monde
Les Fous
Ils ont enfermé le mauvais type'

Etais-je le 'wrong man' pour elle ? Désirait-elle autre chose ? Je n’en sais rien. Je pourrais me poser longtemps ce genre de question, mais ça ne ferait que torturer un peu plus mon esprit déjà ravagé par son absence. Je sors délicatement le disque de sa pochette, le pose sur la platine et laisse le diamant faire son œuvre. Une avalanche. Je suis comme cet homme pris dans l’avalanche. Bossu, tordu, cassé de toutes parts. Et n’ayant plus que la haine désabusée comme échappatoire. Les roulis de guitare dévalent la pente, comme la lourde neige, prêts à nous ensevelir. Et COHEN chante d’une voix si grave, si triste, autant que pleine de cynisme et de rancœur. Cette chanson dit tout. Je ne peux qu’écouter, le visage neutre, buvant les paroles du chanteur dépressif, un verre de whisky à la main. D’ailleurs, COHEN lui-même était au fond du gouffre à cette époque. Sa belle Marianne est partie, le laissant avec ses mauvaises compagnes, alcool et drogue. Comme je te comprends, Leonard !
La pluie tombe en moi comme sur la tête du "Last Year’s Man" à la recherche d’une Jeanne d’Arc salvatrice. Mais Jeanne d’Arc n’a peut-être jamais existé. Tout cela n’est qu’illusion. On peut mettre des costumes de répétitions pour apparaître plus beau, plus fort. Mais la supercherie n’est que haillons et la cruelle réalité a toujours le dessus.
Leonard a beau s’égosiller sur "Diamonds in the Mine", paraître plus hargneux et énervé (ça lui arrive !), la douleur ne s’éclipse pas. Elle pèse inexorablement sur nos crânes inclinés.

Craquement. La première face – celle de la haine – s’achève. Je retourne le disque et repose le diamant. La face de l’amour sera-t-elle moins désespérée ? Plus douce en tout cas. Les roulis de "Love Calls You By Your Name" résonnent moins cruellement que ceux d'"Avalanche". Mais la tristesse est toujours de mise. Pourrait-il en être autrement ?
Et puis survient "Famous Blue Raincoat", la plus belle de toutes. Je me demande comment j’arrive encore à faire une analyse des chansons de ce disque dans mon état. La splendeur de ce titre bouleverse les âmes quelles qu’elles soient. Cette guitare si douce, ces orchestrations et ces chœurs féminins en arrière-plan. Tout est brumeux et irréel. Presque léger malgré la noirceur des paroles.

"Sing Another Song, Boy" et "Johan of Arc" paraissent presque superflues après "Famous Blue Raincoat". Même si la première, enregistrée live à l’Ile de White, semble remettre un peu d’ambiance, le noir est toujours présent. Jusque dans les lalala du final de "Joan of Arc", encore elle. Une obsession pour COHEN. Lalala, mes pensées s’évaporent. lalala lalalaaalaaalalaaa.

Craquement, encore … Je me suis endormi. Nous sommes déjà au matin. Depuis la fenêtre, le ciel semble d’un gris neigeux. Je remets doucement le vinyle dans sa pochette. Je reste debout. Immobile. Me sentirais-je mieux ? Non. Ce n’est pas le disque idéal. Epuisé ? En quelque sorte. Il faut que je sorte. Prendre l’air hivernal de Manhattan en pleine gueule. Ces choses là n’ont pas de prix. Partir, marcher, pour essayer de l’oublier, Elle. Peine perdue, mais je sors quand même.

Les buildings s’élèvent sans montrer leur sommet, pris dans la brume. A Downtown, je prends le ferry, direction Staten Island. Mais ce n’est pas Staten Island que je recherche, ni la Statue de la Liberté, que je distingue à peine dans le brouillard. Je contemple Manhattan qui s’éloigne lentement. New York est froide, ces derniers temps. Nous sommes fin décembre. Mais j’aime l’endroit où je vis. Je devrais voir s’il y a de la musique à Clinton Street dans la soirée. Je repense à Elle. Partie probablement dans les bras d’un autre. Qui ? Peut-être un ami, un frère. Un assassin désormais. Mon assassin. Je devrais écrire une lettre. Juste pour savoir si elle va bien. Si elle se sent mieux depuis qu’elle m’a quitté. Je me rappelle qu’elle était venue, une fois, avec une mèche de ses cheveux, qu’elle avait mise dans mes mains. Avant de m’embrasser. L’ai-je encore, cette mèche de cheveux ? Tout cela me semble si loin.
Il fait si froid, mais je contemple Manhattan la brumeuse sans sourciller, sans faire attention à mes frissonnements. Un vieil imper bleu, ce n’est pas ce qu’il y a de plus chaud. Il y a même une petite déchirure au niveau de l’épaule droite.



P.S :
- Le dernier paragraphe est librement inspiré de la chanson "Famous Blue Raincoat" présente sur ce disque.
- Ce texte est une fiction et toute ressemblance avec des événements existants serait purement fortuite.

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- Leonard Cohen (chant, guitare)
- Ron Cornelius (guitares)
- Charlie Daniels (guitare, basse)
- Bubba Fowler (guitare, basse, banjo)
- Bob Johnston (piano)
- Corlynn Hanney (choeurs)
- Susan Mussman (choeurs)
- The Corona Academy, London (choeurs d’enfants)


1. Avalanche
2. Last Year’s Man
3. Dress Rehearsal Rag
4. Diamonds In The Mine
5. Love Calls You By Your Name
6. Famous Blue Raincoat
7. Sing Another Song, Boy
8. Joan Of Arc
- bonus Réedition 2007
9. Dress Rehearsal Rag (early Version)



             



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