Trois années de stand-by auront été nécessaires pour la naissance du chef-d'oeuvre numéro 1 d'IAM. Les rappeurs marseillais estiment que les problèmes présents à l'époque d'Ombre Est Lumière se sont suffisamment aggravés, en particulier la situation déclinante dans les quartiers «sensibles» et pour ne citer que leur pays de Provence, la montée en flèche du Front National. C'est trop !

L'Ecole du Micro d'Argent bénéficie ainsi d'un lourd background. Ombre Est Lumière a connu un succès important, suivi par celui du premier album solo d'Akhenaton, le pour le moins magnifique Métèque et Mat en 1995. A son retour, IAM a quelque peu envie de se démarquer de l'image «Mia» qu'il s'est collé auprès du grand public, au risque d'y perdre les fans gagnés. Cet album sombre est enregistré (et même réenregistré en 24 jours) à Paris avec l'aide du producteur Prince Charles, venu de Harlem, NYC, et donc très imprégné de ce qui se fait de mieux dans le hip-hop d'alors (RZA, Wu-Tang Clan).

La musique a changé, elle aussi. De l'autre côté de l'Atlantique, le hip-hop a quelque peu abandonné ses racines les plus typiquement entraînantes en se ralentissant, bien conforté par l'emploi de gros sons de basses qui donnent plus de profondeur. Le rap français suit le mouvement, Imhotep et Kheops, souvent aidés par Akhenaton, plus rarement par Shurik'n composent des musiques permettant au troisième album de trancher avec l'aspect léger et dansant du premier. Ce qui n'empêche bien sûr pas IAM de conserver un groove prenant, sans doute mieux mis en valeur par des orchestrations de plus en plus abouties et riches, entre funk, jazz et musique classique, ce dernier esprit étant transcendé par des samples de cordes mélancoliques que Shurik'n réemploiera à loisir sur son futur premier album solo.

Côté textes, IAM a eu envie de revenir à quelque chose de plus épuré qu'auparavant. Il délaisse peu à peu les considérations mystiques pour se concentrer sur des idées plus terre-à-terre, même si la première chanson, «L'Ecole du Micro d'Argent» nous met d'emblée dans cette quête spirituelle, développée plus tard dans «L'Empire du Côté Obscur» et «Quand tu Allais on Revenait», sans pour autant que les textes soient aussi chargés. Les autres textes parlent des difficultés pour les jeunes en difficulté de se faire une place, les rappeurs adoptant tout à tour un ton caressant («Né Sous la Même Etoile») ou faussement sermonneur («Petit Frère»). «Independenza» se présente comme un véritable chant de révolte, «Dangereux» et «Bouger la Tête» dépeignent à leur tour la condition de rappeur, «Libère ton Imagination» fait le parallèle entre les anciens champs de coton et les champs de béton actuels, «Chez le Mac» et «Elle Donne Son Corps Avant Son Nom» dénoncent une certaine condition féminine (parfois avec humour comme dans le deuxième)... En deux mots, les revendications et revanches du groupe se traduisent pas une plume de nouveau très travaillée et dont le climax reste les neuf minutes de «Demain C'est Loin», idéalement placé tout à la fin, où Shurik'n et Akhenaton emploient chacun leur tour des liaisons intelligentes entre leurs phrases.

De tout façon, si ce disque a obtenu son rang de chef-d'oeuvre, ce n'est pas gratuit. Si les «tirades» rap sont déjà toutes marquantes quel que soit le ton -même Freeman et son accent marseillais à couper au couteau s'y mettent un peu, sans le niveau des deux autres mais honorablement déjà-, il n'est pas de refrain dans ce disque qui n'ait pas d'impact phénoménal sur l'auditeur, grâce à des phrases, des paroles chantées ou des samples, ou parfois tout en même temps, tout simples mais terriblement efficaces. «Bouger la Tête» et «Dangereux» reposent sur la science du scratch de Khéops, «Chez le Mac» et «Un Cri Court Dans la Nuit» bénéficient de la participation respective de Nalini et Daddy Nuttea (sans compter d'autres featurings classieux avec Timbo King de Wu-Tang Clan et Fabe sur «La Saga» et «L'Enfer»), on retiendra l'effet de mellotron de «Un Bon Son Brut Pour les Truands» et ses mentions à Sergio Leone... Malgré les tempos lents, l'ennui est aisément balayé en particulier grâce à la verve des rappeurs, hallucinante sur «Independenza» où ils sont trois, comme sur «Demain C'est Loin» où ils oeuvrent en solo et où l'issue ne pouvait être qu'une coupure nette. Magistral !

En fait, le seul défaut de L'Ecole du Micro d'Argent, c'est de ne pouvoir contenir en même temps «Libère Mon Imagination» et «Independenza» pour en faire un album complet, bien qu'il soit déjà parfait. Avec plus d'un million et demi de copies écoulées, il est le grand favori du rap français, indétrôné depuis, preuve que le public a au final pour le moins bien reçu ce coup d'audace. «Demain C'est Loin» est souvent mentionné comme le meilleur morceau de rap français, même par des non-amateurs de cette musique. Même la pochette, dès qu'on la voit on comprend tout... Le génie quoi.