Gautier SERRE est une véritable bête de marketing : profitant de la crise de foi provoquée par le mariage pour tous, il sort son album hommage à l’Eglise catholique quelques jours avant Noël. Astucieux, le fayot ! Je vois d’ici les files interminables de bigots qui vont se former devant tous les disquaires de la chrétienté. Les rumeurs d’une collaboration entre IGORRR et Les PRÊTRES se font de plus en plus insistantes, on murmure même qu’un opéra s’inspirant de la vie de Bernadette Soubirous serait en préparation.

En attendant cette apothéose de l’art religieux contemporain, on peut d’ores et déjà se refaire une vertu en écoutant le bien nommé Hallelujah, troisième album d’IGORRR. La musique accomplit parfois des miracles, pour peu qu’elle soit placée sous le bon patronage. Ainsi TELOCH, nouveau guitariste du peu recommandable MAYHEM, se fend-il d’une participation sur « Lullaby for a Fat Jellyfish » qui devrait lui valoir le salut éternel, malgré son maquillage outrancier. Gautier SERRE a convoqué ses petits amis musiciens, et tous ont répondu présent avec une ferveur admirable, y compris le poulet samplé sur « Vegetable Soup ».

Les esprits chagrins trouveront sans doute Hallelujah un peu trop audacieux, un peu trop moderne. Je rappellerai à ces gens-là que Vatican II est passé par là, et que désormais tout est possible, tant qu’on n’insulte pas les mamans. Il est donc tout à fait admis de mélanger la musique baroque avec d’autres genres un peu moins sacrés comme le breakcore, le black métal, le folk slave, et pour le reste, Dieu reconnaîtra les siens…

L’album s’ouvre idéalement avec « Tout Petit Moineau », délicieux mélange de clavecins, de voix aériennes, de riffs menaçant et de cris d’aliénés. Émouvant. Il flotte un subtil parfum d’interdit autour autour de ces guitares crasseuses et de ces boîtes à rythmes déchaînées, mais les habitués de la batacuda de la manif’ pour tous ne sont plus vraiment à ça près. Tour à tour slave (« Vegetable Soup », « Grosse Barbe ») et tsigane (« Cicadidae »), Gautier SERRE prouve qu’on peut fricoter avec les brebis égarées sans vendre son âme au diable.

Plutôt que de se retrancher derrière une neutralité laïque peureuse, IGORRR met son bon goût légendaire au service de l’élévation spirituelle de ses aficionados. Sur « Absolute Psalm », il n’hésite pas à sampler un ministre du culte, bientôt couvert par les « LALALALALALALA ! » éraillés de Laurent LUNOIR et la guitare de TELOCH. « Corpus Tristis » prouve que l’artiste n’est pas dénué d’une certaine sensibilité, qui s’exprime à travers les notes fragiles du piano. Dommage que la fin de l’album soit un peu anodine, mais bon, même la Bible a ses passages faibles (le racolage pour le racolage de Sodome et Gomorrhe, bof-bof…).

Hallelujah est à l’image d’un film de Kusturica, frénétique, bien débile… et juste beau. Gautier SERRE prouve avec brio qu’un disque avec le pape dessiné sur la pochette peut être cinglé et énergique. Ne cherchez pas de blasphème là-dedans, l’homme qui a composé ceci est forcément en relation avec une puissance supérieure.