PROCOL HARUM a connu très rapidement le succès avec « A Whiter Shade Of Pale » chanson immortelle de l’année 1967 qui permet au groupe d’avoir les coudées franches pour enregistrer. Le band dans son premier line-up est original avec un parolier Keith Reid qui ne joue pas d’instruments, Gary Brooker le fondateur et chanteur pianiste, Robin Trower à la guitare, Matthew Fisher à l’orgue, B.J. Wilson à la batterie et Dave Knights à la basse. Le groupe tourne souvent aux USA et c’est à Los Angeles que débute l’enregistrement du troisième album qui sera poursuivi et terminé aux studios d’Abbey Road à Londres.

Autant annoncer tout de suite la couleur, la chanson « A Salty Dog » est le chef d’œuvre du groupe.
La pochette qui parodie le logo de la marque de cigarettes Player’s Navy Cut (hélas disparue, des sans filtres avec un super goût, que j’avais acheté lors de mon premier séjour à Londres, mais passons) évoque la mer et les marins (A Salty Dog est un vieux loup de mer en argot) et la chanson éponyme est magique, l’une des plus belles, toutes catégories confondues ! Le chant de Brooker est somptueux, majestueux, l’orchestre à cordes évoque les vagues qui cognent sur le bateau, les mots de Reid claquent dans la tempête “We sailed for parts unknown to man/ Where ships come home to die/No lofty peak, nor fortress bold/Could match our captain's eye/Upon the seventh sea-sick day/We made our port of call/A sand so white, and sea so blue/No mortal place at all” Nous avons navigué vers une destination inconnue de l'homme/Où les navires viennent là pour mourir/Aucun pic élevé, ni forteresse gras/Pourrait correspondre à l'oeil de notre capitaine/Sur le septième jour de mal de mer/Nous avons fait notre port d'escale/Un sable si blanc, et la mer si bleue/Sans lieu mortel pour tous ». Pas facile de traduire en restant dans l’esprit du parolier, mais cette ode à la mer, aux marins est superbe comme « Wreck of the Hesperus » qui évoque le naufrage d’un navire.

Le disque consacre aussi Matthew Fisher comme producteur et co-auteur sur "Wreck of the Hesperus" et "Pilgrim's Progress", très mélancolique et rappelant "A Whiter shade of Pale", y compris les réminiscences de Bach. Beaucoup considèrent que PROCOL HARUM est le fondateur du rock progressif, et c’est évident que peu de formations ont marié les références classiques, avec l’emphase du rock sur des paroles intelligentes loin de l’emphase boursouflée de YES ou GENESIS post Gabriel par exemple. Mais ce disque contient aussi les germes de la discorde.

Robin Trower, qui revendique une place plus importante dans l’exécution et l’écriture semble mal à l’aise et "Juicy John Pink" n’est pas le meilleur titre de l’album, un blues qui s’insère mal dans les autres morceaux, son autre composition "Crucifiction Lane" meilleure, n’est quand même pas une grande réussite.
Matthew Fisher aussi compose, il chante également et ses thèmes s’insèrent mieux dans la démarche globale.
Mais, à ce petit jeu, c’est Gary Brooker qui s’en sort le mieux, son leadership est certes contesté, mais les morceaux qu’il chante sont de loin les meilleurs. C’est lui le socle du groupe, comme sur "Too Much Between Us", crépusculaire et très représentative du son du groupe.

Ce disque est le dernier avec la formation d’origine, après avoir raté le jackpot en loupant le festival de Woodstock, Fisher et Knights quittent le groupe, Trower attendra 1972 pour se lancer dans une carrière solo de guitar-hero en hommage à son idole Jimi Hendrix. A Salty Dog, malgré son côté bancal, reste un disque majeur, porté par sa chanson titre, qui ouvre d’énormes espaces sonores à toute une génération de musiciens, il montre également que des personnalités aux goûts musicaux différents ne peuvent souvent pas cohabiter longtemps ensemble, et il affirme la prééminence du duo Brooker/Reid aux commandes du groupe.