Aaron Funk n’avait rien sorti depuis 2012 ; on commençait à s’inquiéter. L’homme qui a redonné ses lettres de noblesse au mot « prolifique », muet pendant plus d’un an, ça n’était pas arrivé depuis… hum hum (je wikipédise)… ça n’était jamais arrivé. Pourtant, au vu des dernières sorties de VENETIAN SNARES et LAST STEP, tout le monde s’accordait à dire qu’un petit break ne serait pas de trop. J’avais personnellement lâché l'affaire après My So-Called Life, avant d’être rappelé à mes devoirs chroniquaux par un texte élogieux sur SWQW (très bon site pour découvrir plein d’artistes bizarres, je conseille).

My Love Is a Bulldozer, l’objet du délit, est sorti sur Planet-Mu, le label de Mike Paradinas. Au moins, c’en est fini de l’éphémère Timesig. La pochette, qui représente Aaron Funk cabré en centaure, rappelle les méfaits d’IGORRR, l’unique zélateur du baroque assaisonné de breakcore. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre le Canadien et le Français qui émerge sur cet album. Outre un certain humour pervers, on remarquera qu’Aaron Funk a repris ses expérimentations sur samples de musique classique et de jazz. Evidemment, c’est Funk qui a inspiré Gautier Serre en premier lieu, et non pas le contraire. Mais il serait intéressant de savoir si le DJ de Winnipeg a été sorti de son marasme par l’écoute de ses pairs.

Car oui, direlidingdong tralala, fin du suspens : My Love Is a Bulldozer signe la renaissance artistique de VENETIAN SNARES, avec des morceaux délicieusement dingues et un sampling proche de la perfection. Il n’avait pas fait aussi bien depuis Cavalcade of Glee and Dadaist Happy Hardcore Pom Poms. J’avoue éprouver un certain plaisir à écrire des titres comme Cavalcade of Glee and Dadaist Happy Hardcore Pom Poms en entier, qui n’arrive néanmoins pas à la cheville d’A Giant Alien Force More Violent and Sick Than Anything You Can Imagine dans ce domaine.

La première réussite de My Love Is a Bulldozer, c’est d’inclure des passages chantés par le Store vénitien qui ne donnent pas envie de s’injecter de l’acétone directement dans les tympans. Aron Funk traîne toujours sa voix chevrotante de crooner folk, mais pour une fois, il arrive à en faire quelque chose de plus touchant qu’inquiétant. Ecoutez-moi « 1000 Years », ce mélange subtil de folie furieuse et d’élégance, porté par cette merveilleuse voix hésitante. Ou encore, « Amazon », avec ses rythmiques déjantées et son refrain entêtant.

De fait, nombreuses sont les chansons qui se parent d’une mélodie pop désespérée sur fond de martelage breakcore (« 10th Circle of Winnipeg », « My Love Is a Bulldozer », « Dear Poet »). Les intermèdes jazz ou classiques permettent de faire respirer l’ensemble, sans jamais verser dans le bric-à-brac prétentieux. Au contraire, cet album est très ludique, très accessible, pour peu que vous ne soyez pas épileptique ou enceinte. Même la ballade « Too Far Across » est irréprochable, juste belle.

VENETIAN SNARES n’oublie pas de démontrer qu’il est encore l’un des meilleurs manipulateurs de sons sur « She Runs ». Ce morceau de bravoure, judicieusement placé aux 3/4 du disque, est d’une finesse rare. Les ruptures s’enchaînent ; chaque sample est nécessaire. Les sons déboulent dans une ambiance folle, au milieu de synthés déchaînés et de boîtes à rythmes insaisissables. Juste au moment où vous pensiez attraper un motif techno hardcore bien crade, l’orchestre opère sa mue et devient une formation jazz, puis une philharmonie qui joue son tutti. Magistral !

Certes, Aaron Funk n’invente rien ; il se contente de très bien faire ce qu’il sait faire depuis longtemps maintenant. My Love Is a Bulldozer n’égale pas ses plus grands disques, mais contient suffisamment de moments marquants pour mériter que l’on s’y attarde. Pour la première fois depuis quelques années, j’ai envie de me repasser sa discographie pléthorique dans la foulée du dernier album. C’est un signe qui ne trompe pas.