Que l’on me pardonne d’avance de m’être laissé entraîner dans le dernier délire en date de VENETIAN SNARES, à savoir une bonne grosse charge d’Acid/Breakcore qui décolle les crêpes du plafond. Filth, l’objet du délit, rebutera sans doute une grande majorité des fans de VENETIAN SNARES, ses détracteurs les plus farouches, et même les indifférents qui auraient décidé d’aborder la discographie pléthorique du Canadien avec Filth (inconscients !). Mais pour les amateurs d’Acid Techno loufoque et abrasive, Filth arrive à point nommé (comprenez entre deux albums de CEEPHAX). Certes, le public visé est restreint. Certes, cette musique n’est pas recherchée. Certes, en deçà d’un certain volume sonore, Filth se dégonfle comme un mauvais soufflé. Mais en dépit de tout cela, Filth est presque jouissif.

Presque, car cet énième album de VENETIAN SNARES est aussi varié qu’une compilation de chansons à boire. Ce qui est un peu la raison d’être d’un album d’Acid Techno, il faut bien l’avouer. Alors forcément, les premières écoutes s’avèrent décevantes ; on se dit, non sans raison, qu’Aaron Funk a fini par toucher le fond et se roule allègrement dans la fange. Mais quelle fange ! Filth porte bien son nom : là où Detrimentalist proposait un son un peu trop policé, Filth affiche sans vergogne son aspect crasseux et grésillant, Acid oblige. Acid oblige encore, VENETIAN SNARES se singe d’un titre à l’autre comme un RICKY MARTIN déviant. Entre « Deep Dicking » et « Crashing the Yogurt Truck », la différence tient lieu de fioriture ; la base reste la même : BAM ! BAM ! BAM ! BAM ! BAM !

Et pourtant ! On retrouve avec plaisir ce martèlement épuisant, qui avait fait place à une finesse orchestrale à la fortune diverse sur les dernières productions du Canadien. Ici, point d’Ambient, point d’IDM, point de crincrins. Le mot « synthétiseurs » s’épelle du bout des lèvres, masqué par l’assaut tellurique de la boîte à rythme. Il faut bien un « Kakarookee Hates Me » pour apprécier la volte-face opérée par Aaron Funk ; le bulldozer synthétique écrase tout sur son passage dans un élan digne des meilleures productions raves de ces dernières années. « Vulcan Venture » de qui l’on sait n’est pas loin.

Hélas, on ne passe pas de la finesse à la brutalité aussi facilement. VENETIAN SNARES a gardé quelques tics de ses productions antérieures. Certains titres sont plats, trainent en longueur, s’essoufflent inexplicablement. On baille sur « Labia », trop twinien pour être honnête, et on roupille sur « Splooj Guzzlers », où Aaron Funk s’obstine à user de chevrotine alors qu’il possède la plus belle sulfateuse au monde. Fermons les yeux sur « Pussy Skull », qui, bien que poussif, a le mérite de ne pas conclure l’album par un grigri ambient-orchestral (qui a dit « Miss Balaton » ?).

Filth aurait pu être une œuvre de génie, un manifeste de rave crasseuse et décomplexée. Mais les « Kakarookee Hates Me » sont trop rares… Il y a bien « Mongoloid Alien » et « Kimberly Clark », dont les délires apocalyptiques et pornographiques font honneur au genre. Et puis plus rien, ou presque. Le délire « série B horrifique » de « Chainsaw Fellatio » ne convainc qu’à moitié, tandis que le reste de l’album ne décolle jamais vraiment. Reste que le bloc Filth fonctionne ; ses élans agressifs masquent utilement ses errements expérimentaux et en font un bon album, et surtout un meilleur album que Detrimentalist, son prédécesseur homogène mais anodin.