AGITATION FREE qui se reforme en 1998, c’était plutôt une nouvelle inattendue. Après vingt-cinq années d’absence, ponctuées par la sortie de quelques fonds de tiroirs sans grand intérêt, œuvre de quelques labels nostalgiques, personne n’aurait eu le culot de parier sur le retour du groupe berlinois. Mieux encore, tout le monde s’en foutait plus ou moins, hormis les rares irréductibles à avoir suivi Michael Hoenig dans ses pérégrinations dans le monde merveilleux de la musique électronique allemande, avec son pote Göttsching par exemple. Bref, AGITATION FREE se reforme, avec le même line-up qu’en 1974, année maudite de la séparation des membres pour cause de plus de thunes. Une tournée est prévue, on racle de nouveau les mêmes fonds de tiroirs, on entreprend des fouilles archéologiques dans le grenier d’Hoenig et on en ressort finalement avec l’imbuvable The Other Sides of Agitation Free, compilation d’inédits datant de 1974 et vieilles bandes laissées au placard à la même époque, pour cause de plus de thunes. Toutefois, les camarades d’AGITATION FREE ne sont pas du genre à se laisser aller au rituel coutumier des anciens groupes des années 60, à savoir les rééditions compulsives d’archives jamais exhumés et souvent de piètres qualités. Non, nos Allemands vont tout simplement retourner en studio pour enregistrer un troisième album et donner enfin une suite aux excellents Malesch et 2nd.

Donner une suite ?

La démarche du groupe est intéressante puisqu’elle ne vise justement pas à se placer dans la continuité de ses productions les plus anciennes, à donner une suite donc à Malesch ou à 2nd. Le style oscille ici entre un rock psychédélique assez peu entreprenant et une musique world touche-à-tout, pour des morceaux parfois à la limite de l’ambient, parfois plus jazzy. Pas de voyage en Orient ni de retour en Europe particulièrement, River of Return se veut au contraire être un tour du monde. Et il faut bien avouer que de ce côté-là, c’est plutôt réussi. Des profondeurs de l’Amazonie ("2 Part 2") aux caravanes du Sahara ("Nomads") en passant par la pluvieuse Irlande ("The Obscure Carousel") et l’Espagne mauresque ("Das Kleine Uhrwerk"), AGITATION FREE ne fait pas de jaloux. Le groupe s’essaye même à d’étranges associations, notamment en invitant quelques moines mongols sur une plage de la mystérieuse mer du Nord ("Susie Sells Seashells at the Seashore").

Après vingt années d’absence, on est en droit de se dire que les idées ont eu le temps de mûrir dans la tête de nos Teutons. C’est le cas, même si ce n’est pas River of Return qui révolutionnera quoi que soit. Ce n’était de toute façon guère le projet d’AGITATION FREE qui propose ce qu’il a toujours su faire, des ambiances enivrantes et des paysages magnifiques. Si le côté 'voyage cosmique', devenu bien caricatural chez les groupes de krautrock après 1974, est parfaitement évité, River of Return n’en est pas moins captivant pour autant. Malgré des morceaux qui manquent parfois d’un peu de sursauts en fin de disque, en particulier ce très long "177 Spectacular Sunrises" rappelant à juste titre TANGERINE DREAM, AGITATION FREE parvient encore une fois à nous faire planer comme à la grande époque. La guitare électrique, toujours aussi aérienne, répond aux arpèges cristallins de la guitare sèche ou de la mandoline, alors que les claviers nous distillent des plages relaxantes et mystiques, à comparer avec ceux de 2nd. Les guests sont remarquablement utilisés, à l’instar des saxophones et de la cornemuse de "The Obscure Carousel". Enfin, AGITATION FREE s’ouvre timidement au blues sur "Fame’s Mood", un peu rébarbative, et au gros rock qui tâche avec l’étonnante "Keep On", à des années lumière de son style original, mais finalement assez plaisante. La réédition de 2009 contient également un bonus, un live de "First Communication" au son vraiment naze, mais lui aussi assez réjouissant.

River of Return était inattendue, et d’autant plus à un tel degré de qualité. Malgré des ratés par-ci par-là (les didgeridoo de "River of Return" !) et l'aspect parfois trop 'plaqué' des compositions, ce troisième album est un beau cadeau. AGITATION FREE s’est fait plaisir, ça se sent, et c’était finalement la meilleure des manières pour revenir. Pas de prise de tête, prends ta bière, contemple les étoiles et fais le tour du monde !

Note réelle : 3,5/5
À écouter absolument : "The Obscure Carousel" et "Nomads"