Recherche avancée       Liste groupes



      
MUSIQUE TRADITIONNELLE  |  STUDIO

Commentaires (5)
L' auteur
Acheter Cet Album
 

ALBUMS STUDIO

1979 Odes
1986 Rapsodies
 

- Style : Popol Vuh
- Membre : Vangelis, Jon & Vangelis

IRENE PAPAS & VANGELIS - Odes (1979)
Par AIGLE BLANC le 2 Novembre 2014          Consultée 4777 fois

Irène Papas et Vangelis Papathanassiou ont croisé leur talent musical à plusieurs reprises. Leur première collaboration remonte à l'année 1970, époque où VANGELIS officie encore comme maître d'oeuvre et claviériste de son groupe pop APHRODITE'S CHILD. Irène Papas intervient dans un titre du double-album 666, The Apocalypse of John où elle pousse des hurlements d'extase dans un esprit furieusement avant-gardiste. Elle y livre une performance vocale stupéfiante, mais on ne peut pas dire qu'elle y chante vraiment. Leur deuxième collaboration a lieu neuf ans plus tard, et c'est le disque qui nous intéresse ici. Leur ultime travail commun à ce jour demeure le Rapsodies de 1986.

Irène Papas n'a jamais eu l'ambition de construire une discographie, elle s'est contentée de flirter avec le chant, toujours en dilettante. En revanche, elle est l'une des très rares, pour ne point dire la seule, comédiennes grecques à avoir connu une carrière cinématographique d'obédience internationale, réputée pour ses interprétations des grandes figures féminines de la mythologie (Electre, Antigone, Hélène). C'est surtout une très grande tragédienne, âgée aujourd'hui de 88 ans.

Odes longtemps n'a mentionné sur sa pochette que le nom d'Irène Papas. Pourtant, VANGELIS n'a jamais été réputé pour sa modestie. S'il n'a plus intégré de groupe après APHRODITE'S CHILD, c'est parce que, expliquait-il à un journaliste de Rock & Folk, les grands compositeurs des siècles passés (BEETHOVEN, BACH, HANDEL...) ne laissaient jamais quiconque s'immiscer dans leur démarche créatrice. D'où vient alors son relatif effacement à la sortie de Odes ? Peut-être a-t-il laissé l'honneur à sa partenaire, seule instigatrice du projet. En effet, une fois n'est pas coutume, VANGELIS n'est ni l'auteur ni le compositeur des chansons qui parcourent l'album.

La réédition de 2011, à la remasterisation supervisée par VANGELIS, rétablit sur la pochette les deux noms. Cela me paraît d'autant plus légitime qu'il s'agit d'un vrai duo, l'actrice grecque se chargeant du chant (et sans-doute de la sélection des airs traditionnels), son compatriote des arrangements. Qui connaît sa B.O d'Opéra Sauvage, sortie la même année que Odes, sait que VANGELIS est un excellent arrangeur. C'est lui qui joue ici de tous les instruments, la plupart électroniques. De ce point de vue, c'est autant son disque que celui d'Irène Papas.

Que se passe-t-il lorsque deux artistes d'exception unissent leur force ? Pour ma part, la première écoute provoqua un éblouissement dont je ne me suis toujours pas remis et dont je ne me remettrai sans-doute jamais. 35 ans après sa sortie, Odes n'a pas pris une ride. Cette qualité rare, l'album la doit avant tout à la force d'évocation peu commune des chansons qui le composent, rappelant l'austère intensité du Fado. Que les puristes veuillent bien me pardonner l'emprunt d'un terme désignant un art typiquement portugais. Irene Papas et VANGELIS livrent ici la quintessence de leur art.

Une Ode désigne dans la Grèce antique un poème lyrique mis en musique et célébrant un personnage ou un événement historiques. Cette définition a le mérite de bien nous préparer au programme que nous réserve le disque. Irène Papas y chante six airs issus du répertoire traditionnel grec. D'autres textes empruntés probablement à des poèmes régionaux, des contes ou des légendes, décrivent simplement la beauté de la flore locale ou traduisent l'énergie vitale d'un pays où plane l'ombre tutélaire des dieux antiques. Ce sont autant d'évocations qui hantent encore l'âme du peuple hellénique.

La chanteuse dilettante déploie ici sa science confondante de la respiration qui lui permet de graduer les inflexions de sa voix pour en accentuer l'intensité. Il n'existe guère d'équivalent à son extraordinaire performance vocale, si ce n'est peut-être chez Lisa GERRARD, l'ex-égérie de DEAD CAN DANCE. La chanteuse australienne aurait-elle puisé chez Irène Papas une authentique source d'inspiration ? Leur différence réside principalement dans la sobriété tenue de la chanteuse grecque qui jamais ne laisse l'émotion prendre une hauteur échappant à son contrôle. Cela teinte son interprétation d'une austérité qu'on ne saurait toutefois confondre avec la froideur. Son chant, volontairement mis en avant, parfois même a cappella, nous immerge par sa puissance incantatoire au coeur de l'histoire grecque. Les textes empreints d'une sombre poésie racontent la mélancolie profonde d'un peuple meurtri. L'interprète ranime pour nous l'âme grecque jusque dans les vibrations terriennes de sa voix hantée, fait souffler la chaleur méditerranéenne et fouille les traumatismes enfouis dans les racines du sol. Les histoires qu'elle nous conte ont le sourire du désespoir, la douceur de la rage contenue. Elles portent en elles une indicible fatalité que rien jamais n'apaisera.

Dans "Les 40 Braves", qui célèbre l'insurrection grecque contre la tyrannie turque, accompagnée d'un choeur masculin, Irène Papas mène sa troupe au front avec une autorité digne d'un chef guerrier, qu'appuient les claviers martiaux, les cymbales et les roulements de tambour de VANGELIS. Dans "Neranzoula", sa voix tendre, qu'elle module avec un sens inouï de la respiration, cajole le petit oranger sur le flétrissement duquel elle s'apitoie. L'arrière-plan musical y est un modèle de discrétion. Les claviers tout en retenue esquissent cette ode à la décrépitude tandis que le son d'une cloche vient marquer la mort imminente de l'arbre solitaire. Voici bien l'une des chansons les plus poignantes que je connaisse. "Les Kolokotronei" invoque le nom d'une famille que les Grecs n'ont cessé de chanter comme "Homère a chanté des rapsodies pour Agamemnon". Le chant a cappella s'y révèle d'une précision qui démontre si besoin était la force de conviction de la tragédienne. "Le Fleuve" est une autre ode épurée à la nature qui, sous couvert de chanter les beautés éternelles d'un fleuve, s'élève à la dimension allégorique du Destin. VANGELIS tisse encore une fois un tapis de dentelle aérien, complément parfait à la voix solennelle et digne de la chanteuse. "Lamento" présente le second pic de l'album, celui qui m'évoque le plus l'art du Fado. Le poème, comme son titre l'indique, déplore la permanence de la mort. Dans une atmosphère empreinte d'une forte tension, une basse synthétique assène ses coups de cordes à glacer le sang. Puis le chant se lance dans une lamentation qui charrie l'inquiétude, la désolation, la mort. C'est ici que la comparaison avec le chant de Lisa GERRARD se justifie le plus. La chape de plomb qui s'abat sur l'auditeur éveille en moi le climat des films de Sergio Leone : un village écrasé de chaleur, les fenêtres fermées, les rues vides, le silence. Un homme passe. Des regards osent à peine suivre sa silhouette au travers des rideaux figés. Les habitants se sont tous cloîtrés chez eux dans l'attente crispée d'une mort inéluctable.

A ces chansons traditionnelles, VANGELIS ajoute deux compositions de son cru, exclusivement instrumentales, qui s'intègrent naturellement à l'ensemble. "La Danse du Feu" rappelle son talent inné à construire une pièce rythmée où s'entrechoquent à l'infini les synthés dans une spirale vertigineuse. Ce titre fait bien sûr penser à certains passages rapides de Spiral ainsi qu'à cette composition infernale où des bambous martèlent un rythme endiablé dans Heaven and Hell. Une merveille aux accents typiquement grecs.

"Racines" livre une composition ambiante particulièrement envoûtante dans laquelle VANGELIS lance une séquence de quatre notes ascendantes dont il a ralenti à l'extrême le débit, tandis qu'un synthé haut-perché et sinueux inocule l'ensorcelante chaleur méditerranéenne. Encore une pièce qui rejoint ses grandes réussites.

Odes est un diamant noir à l'inaltérable beauté.

A lire aussi en MUSIQUE ÉLECTRONIQUE par AIGLE BLANC :


Steve ROACH
The Magnificent Void (1996)
Le cosmos dans votre salon. Grandiose




ROB
Maniac (2012)
Superbe bo électronique vintage


Marquez et partagez





 
   AIGLE BLANC

 
  N/A



- Irène Papas (chant, paroles)
- Vangelis Papathanassiou (claviers, percussions)
- Ida Parashou (choeur - titre 1)
- Kyriakos Kajourakis (choeur - titre 1)
- Sotiris Zalidis (choeur - titre 1)
- Stathis Zalidis (choeur - titre 1)
- Vassilis Kapetaniannis (choeur - titre 1)
- Arianna Stassinopoulos (paroles)


1. Les 40 Braves
2. Neranzoula 'le Petit Oranger'
3. La Danse Du Feu
4. Les Kolokotronei
5. Le Fleuve
6. Racines
7. Lamento
8. Menousis



             



1999 - 2024 © Nightfall.fr V5.0_Slider - Comment Soutenir Nightfall ? - Nous contacter - Webdesign : Inox Prod