Fort du succès commercial de l'album Regards Affligés en 1990, François Hadji-Lazaro décide finalement de continuer l'aventure PIGALLE pendant quelques années encore, parallèlement aux GARÇONS BOUCHERS. Après un album live en 1992 (Pigallive), l'homme-orchestre du rock alternatif français nous revient en 1993 avec ce troisième opus studio. Rire et Pleurer, disque d'apparence anodine, marque pourtant un véritable tournant dans la discographie du groupe parisien. Délaissant la formule duo à l'oeuvre sur les deux premiers opus, Hadji-Lazaro enregistre cet album en compagnie de ses musiciens de tournée. Certains, à l'instar du bassiste Boubouche, sont à l'époque également membres des GARÇONS BOUCHERS. Pour la circonstance, PIGALLE redevient donc un véritable groupe, et se dote même d'un batteur. Toutefois François reste le capitaine incontesté du navire, signant toujours la totalité des textes et des compositions.

Afin de différencier davantage la musique de PIGALLE de celle des GARÇONS BOUCHERS, qui prend à l'époque un virage plutôt agressif, François Hadji-Lazaro donne à ce troisième LP des couleurs folk bien plus prononcées. À cette occasion, notre ami parisien exploite donc plus en profondeur sa vaste collection d'instruments : cornemuse, vielle à roue, guitares en tous genres, banjos, mandolines, etc... Toutefois les sonorités rock n'ont clairement pas disparu. Le titre d'ouverture, "Rungis", illustre bien ce constat : des guitares plutôt épaisses (on jurerait parfois entendre du metal), et un feeling général qui demeure toujours aussi punk. Pris dans son ensemble, l'album est toutefois sensiblement moins agressif et moins sombre que les deux précédents. Mais il n'est pas forcément plus optimiste pour autant.

Au niveau des textes, PIGALLE semble évoluer. Après avoir exploré les ténèbres de Paris sur l'album de 1990, on prend quelque peu le large, et le groupe nous conte ici des histoires un peu plus variées. Citons notamment deux chansons de marins ("La petite cirrhose du port de Copenhague", "Les deux sœurs"), plutôt dépaysantes... Mais on relèvera également quelques sujets surprenants : PIGALLE critique ainsi les prises de position de l'Eglise catholique ("Crime contre l'humanité"), et se fend même d'un petit texte d'anticipation ("Paris 2034, vingtième jour d'insurrection")... Néanmoins la "patte" PIGALLE, noire et mélancolique, demeure bien évidemment présente. On retrouve donc des êtres au bord du gouffre ("La patate", "Dis-moi si ça vaut le coup de rester"), quelques fables morbides ("Le fou au chien fou", "Le dernier éléphant"), et bien évidemment des histoires d'amours douces-amères ("Un amour simple", "Maîtresse au goût de terroir", "Vendredi 13", "L'amour forain").
Cependant, rapidement le bât blesse un peu. Car tous les textes ne sont pas réussis, certains sont d'ailleurs un peu maladroits. À plusieurs moments, François semble parfois vouloir trop en faire. "Paris 2034" et "Maîtresse au goût de terroir" sont assez symptomatiques de ce problème : les textes sont trop denses, un peu étouffants, on a quelquefois du mal à suivre le fil des histoires qui nous sont racontées. Du coup, l'album n'apparaît pas comme fondamentalement homogène à ce niveau.
Une certaine continuité avec l'album de 1990 semble heureusement assurée sur quelques titres : "On assassine Belleville", titre qui critique de façon frontale les bouleversements urbanistiques de Paris, peut être vu comme une sorte de suite à "Chez Rascal et Ronan".

L'album est heureusement sauvé par ses arrangements, qui sont réellement magnifiques. François Hadji-Lazaro nous gratifie ainsi de superbes parties de cornemuse sur "Derrière le mur". L'accordéon se fait nostalgique sur "Ne reviens !", et le solo de violon y est réellement bouleversant, portant des paroles d'une juste tristesse. "Les deux sœurs" possède enfin de très bons arrangements de percussions. Faire l'inventaire complet de cet album est cependant un peu vain, il y a trop à dire, et c'est d'ailleurs peut être l'un de ses principaux défauts. Car avec pas moins de 17 titres, l'album se révèle un peu trop long. Néanmoins, bien plus abouti que Regards Affligés en termes d'arrangements, l'opus brille par sa grande richesse instrumentale, et on ne se lassera pas de le réécouter en détails pour en profiter.
Mais malgré cela, il manque quand même un truc : malgré toutes ses qualités, l'album ne possède pas de véritable liant, que les textes auraient pu constituer. Et ça pour le coup, ben c'est vraiment dommage, car le potentiel était indéniablement là pour aboutir à un excellent opus.

Déséquilibré et partant quelque peu dans tous les sens, ce troisième album de PIGALLE est donc un disque relativement décevant lorsqu'on le compare à ses prédécesseurs. En nous proposant un opus qui soit l'exact opposé de ce que produisaient les GARÇONS BOUCHERS à la même époque, François Hadji-Lazaro semble s'éparpiller, et le résultat n'est pas totalement réussi. Toutefois, il faut bien avouer qu'on fait un peu la fine bouche... Mais qui aime bien châtie bien !

Note réelle : 3,5/5