Parmi les travaux de Garbarek où se côtoient musiques folkloriques norvégiennes et nordiques, world music, new age et synthétiseurs on trouve ce Twelve Moons. Toujours produit et distribué par le célèbre label allemand ECM, Jan Garbarek s'entoure d'un line-up sans surprise, avec notamment Agnes Buen Garnås et Mari Boine (chant), Eberhard Weber (basse) et Rainer Brüninghaus (claviers) ; par ailleurs les collaborations plus récentes avec Manu Katché (batterie) et Marilyn Mazur (percussions) se renouvelleront également par la suite, ces musiciens ayant eux-mêmes été distribués par ECM pour leurs propres albums. Bref, on est ici en famille et tout le monde loge dans la même maison.

Twelve Moons est un album dans la même veine que Visible World qui sortira trois ans plus tard et connaîtra un beau succès.

A l'image de la pochette, le son de Garbarek, qui lui est véritablement propre, est porté par une légère et froide réverbération et coule de manière cristalline, lumineuse, la pureté du son de ses saxophones est proprement stupéfiante ; ce n'est bien entendu pas une nouveauté lorsqu'on sait l'attention quasi obsessionnelle portée à celui-ci mais il faut le souligner encore une fois, on reste toujours admiratif quant à l'espace donné aux instruments, à l'image de ces immenses terres nordiques.

Twelve Moons divisera encore le public. Considérée comme trop facile, trop atmosphérique, ultra léchée – arguments que l'on peut entendre - la musique du Jan Garbarek Group est pourtant indéniablement digne d'intérêt ne serait-ce que pour son sens de la mélodie qui, quoi qu'on en dise, nécessite un talent certain ; et puis, comme nous le disions ci-dessus, le saxophone de Garbarek vaut à lui seul le coup. La maîtrise de l'instrument, ce doigté si incroyable, si sensible, qui permet de toujours poser la note juste, au bon moment, avec la bonne vibration, et la capacité à en sortir des sons qui vous transpercent et font vibrer l'âme relèvent autant du don que d'un travail hors du commun.

« Twelve Moons » qui entame l'album, comme « Brother Wind March », est représentatif de cette dichotomie. D'un côté les synthés peuvent rebuter par leur sonorité artificielle (on se croirait possiblement chez Tangerine Dream), les percussions peuvent avoir un peu trop l'odeur de la world music « Huhai », mais d'un autre côté le saxophone (essentiellement soprano) fait oublier tous ces petits a-côtés possiblement désagréables.

La suite se tient bien mieux. Le chant à la fois magnifique et triste de Agnes Buen Garnås sur « Psalm » qui compose avec un saxo qui émerge des lointains espaces sauvages dans un éther de synthés est un ravissement profond. Souvent de longs silences ponctuent le phrasé du chant ou du saxophone, renforçant cette impression de liberté et d'espace. Les arabesques sur « Brother Wind March » sont particulièrement touchantes, les pleurs du saxo de « The Tall Tear Trees » font frissonner, les mélodies sont délivrées par un orfèvre.

Le piano a également ses moments de solos, Twelve Moons reste un album jazz malgré son côté largement métissé et son peu de swing (« There Were Swallows... », « The Tall Tear Trees », « Arietta »). Cette volonté de prendre son temps rallonge ainsi automatiquement la durée des compositions (« There Were Swallows... », « « Brother Wind March »). Le piano de « Arietta » touche à la musique contemporaine de Steve Reich ou de Philip Glass. La longue pièce de 12 minutes « Gautes-Margjit » est un concentré de sensibilité, de sérénité, d'écoute et de raffinement où le Garbarek Group démontre toute son osmose. « Witchi-Tai-To » est quant à lui un rappel au saxo et piano du thème du superbe album de 1974, qui restera l'album phare de Jan Garbarek - au sein du Bobo Stenson Quartet.

Note : 3.5/5.