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EELS - Souljacker (2001)
Par THOM le 9 Avril 2006          Consultée 4854 fois

Il fallait s'y attendre: en un an et demi, la petite flamme d'espoir qui clôturait "Daisies of the Galaxy" s'était embrasée pour donner naissance au tonitruant "Souljacker". Cependant, les fanfares qui auraient dû accueillir le quatrième album de Eels furent un peu différentes de celles escomptées : l'album étant sorti le 11 septembre 2001, on comprend que sa parution ait été légèrement éclipsée... Du moins en Europe. En effet, la publication du disque aux Etats-Unis fut tout simplement reportée, les instances dirigeantes ayant décrété que le look de E sur la pochette le rendait trop assimilable à un milliardaire islamiste encore peu connu jusqu'alors.

Il est vrai que "Souljacker" est en quelque sorte l'anti-"Daisies..." ne serait-ce que par l'illustration de couverture: les gamins jouant sagement autour d'un étang font place à une grossière photo de tabloïd montrant un E aux allures de tueur. Et pour cause : le nom de l'album est emprunté à celui d'un serial-killer californien des années 90 (qui prétendait voler les âmes de ses victimes en leur faisant passer l'arme à gauche). Puis lorsqu'on introduit la galette dans le lecteur: ô surprise! Aux délicates marguerites succède le bon gros tracteur-tondeuse de Dog Faced Boy, et son riff de guitares grasses à souhait. Une partie de l'explication: sur le précédent opus, E avait presque tout réalisé lui-même (textes, musiques, arrangements et production). Ici, il s' adjoint les services de John Parish, comparse de PJ Harvey, qui reprend le travail là où Michael Simpson l'avait laissé sur "Beautiful Freak". Avec ce nouvel LP, Eels donne un frère adulte à son premier album: plus mûr, plus lourd, mais tout aussi dérangé que l'adolescent monstre aux grands yeux.

Aidé de son éternel acolyte Mr Butch (batteur de son état), et d'une nouvelle recrue à la basse (Koool G Murder), Mark Oliver Everett inaugure son nouvel effort en n'ayant pas peur de monter le ton et la saturation. Foin de fanfares campagnardes, on retrouve le E bien flippé qui le hurle haut et fort. Effectivement, il est ici question des pensées d'un gamin à face de chien qui se pose beaucoup de questions sur le chemin de l'école, où il semble étrangement poursuivi... A noter que la métaphore est bien choisie, quand on sait que le leader arbore une barbe épaisse comme un buisson ("Ma won't shave me, Jesus can't save me, Dog faced boy").

Les choses vraiment intéressantes commencent avec That's Not Really Funny, chanson volontairement déjantée, qui pourrait servir de bande-son à un Tex Avery actuel. On sent poindre le nez de Parish, qui, à coups de clochettes, métalophone, rythmes salsa et hurlements tapageurs, nous sert un jouissif collage sonore inégalé depuis le single Novocaine For The Soul. La voix de E, plaintive et saturée, reléguée à l'arrière-plan, donne l'impression que cette chanson est bancale. Ce qui fait qu'on l'écoute avec un petit sourire intérieur, en n'osant imaginer quel bruit ça ferait si toute cette quincaillerie se renversait... L'ambiance de comic books est aussi présente dans l'hilarant Jungle Telegraph (slip léopard, barrissements, Baloo et Baghera, tout y est...), peut-être le meilleur titre de l'album. Sur fond de rythmes "tchic tchic boum" et dans le plus pur style du Roi de la Jungle, voilà le récit d'un pauvre type (pas désiré, pas aimé, sa descente dans la drogue et la prostitution...) qui traverse la mer pour aller habiter dans les arbres après avoir tué un homme. Visiblement, s'il est une chose que le groupe n'a pas perdu, c'est bien ce sens de l'humour décalé dont on a une brillante démonstration ici.

Mais pas de Eels sans quelques bonnes chansons à faire frissonner (de plaisir, de tristesse, tout ce qu'on voudra). Fresh Feeling est un petite perle de douceur, dont la mélodie aux cordes est un sample de Selective Memory, présente sur l'album précédent. Une des rares chansons d'amour de l'album, qui s'apprécie d'autant plus que l'orchestration y est excellente: un thème énoncé au violoncelle repris par l'orchestre, auquel la ligne de basse s'enchaîne parfaitement. Woman Driving Man Sleeping est un morceau de choix pour emballer autour du feu par une nuit d'été (essayez, vous verrez bien :-)) : quelques accords de guitare sous-tendus par des cordes discrètes, qui donnent à cette ballade une ampleur saisissante. Permettez qu'une fois encore, je m'extasie sur la voix de E, mais avouez que, quand il nous sort " never turning to look back, a little metal box under the stars" avec son timbre chaud et cassé, ça en émeut plus d'un. Ou sur le titre Bus Stop Boxer et ses poussées dans les aigüs d'une voix de supplicié (rien à voir ici avec Matthew Bellamy...). Quant à World Of Shit, petite ballade amoureuse (comme son nom l'indique...) dédiée à la compagne du chanteur, c'est encore un morceau en porte-à-faux: pas vraiment tristoune ni sincèrement rigolote.

Friendly Ghost et Teenage Witch font partie de cette gallerie de portraits qui s'agrandit au fil des albums. La première ressemble étrangement à My beloved Monster sur Beautiful Freak : même ambiance de cache-cache et de tranquilité apparente, portée par des accords en son clair et une fine couche de Wurlitzer. La seconde, un peu plus rude et musclée, bénéficie d'un refrain à la steel guitar, instrument qu'on retrouve régulièrement dans la production du groupe. Ajouter à cela quelques dzing dzing, pouêt pouêt, castagnettes et bongos et voilà un beau bordel qu'on se repasse moult fois, rien que pour le plaisir de bouger les cheveux.

Les chansons composant le dyptique qui donne son nom à l'oeuvre sont disposées en miroir, à la même place sur chaque "face" du disque. Leur conception tient aussi la comparaison : la part I est passablement mouvementée (vision du Souljacker qui cherche sa proie, en rôdant sur les routes californiennes). La part II est le récit étrangement calme des victimes, qui s'accrochent désespérément à l'espoir de voir leur âme épargnée par le tueur. Dit comme ça c'est loin d'être rassurant, mais la musique est tellement légère et envoûtante (ce wurlitzer...) qu'elle donnerait presque envie d'être enterré à leur place (dans un champ de fraises, pour toujours...). Et ensuite dodo, on peut mourir tranquille? Non! voilà le dernier chausse-trappe de l'album. Pour son ultime titre, E nous projette sur l'infernal toboggan de What Is This Note?. C'est le feu d'artifice final de l'oeuvre, la plus puissante, la plus zinzin et la plus ouvertement violente sur la discographie de Eels à ce jour.

Il est vrai qu'on doit beaucoup à la production, vraiment formidable sur "Souljacker", qui donne à l'auditeur cette impression de ne jamais savoir sur quel pied danser. Les bidouillages de John Parish associés à la créativité de E forment une sorte de composition en trompe-l'oeil. Un nouveau masque ou une simple expérimentation? Manifestement, au vu des albums qui suivront, cette incartade dans la sophistication est la dernière en date. A défaut d'être l'album le plus émouvant de Eels, il me semble que cet opus a valeur d'ovni, de vilain petit canard. C'est là qu'on sent combien ce groupe à géométrie variable possède de cordes à son arc.

Au fond, c'est toujours la même chose : les ignobles séquelles d'une vie ravagée. En surface : une forme en perpétuelle mutation, mais surtout un inaltérable "Fresh Feeling".

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- E (chant, guitare)
- Butch (batterie et percussions)
- John Parish (guitare, claviers, percussions, programmation)
- Koool G Murder (basse)


1. Dog Facd Boy
2. That's Not Really Funny
3. Fresh Feeling
4. Woman Driving, Man Sleeping
5. Souljacker Part I
6. Friendly Ghost
7. Teenage Witch
8. Bus Stop Boxer
9. Jungle Telegraph
10. World Of Shit
11. Souljacker Part Ii
12. What Is This Note?



             



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