La principale réussite de cet album, c’est le changement de couleur qu’il porte. A l’instar de la pochette, la musique de TETES RAIDES se pare de noir ; non pas sombre mais obscur, nocturne. Cela résulte en partie du changement de personnel. Edith part avec ses claviers et Cali, l’un des trois fondateurs du groupe, pose sa basse. De l’autre côté, une nouvelle section rythmique est intronisée : Eric derrière les fûts et Antoine aux basses. Mais là où son prédécesseur avait l’habitude de varier les sons en faisant régulièrement appel aux cuivres pour ses lignes, ce dernier est un adepte de la contrebasse. L’usage de cet instrument à l’archet vient parfois doubler le violoncelle d’Anne-Gaëlle, qui aura rarement été à ce point mis en avant sur un enregistrement. C’est ce qui fait en grande partie cette tonalité nocturne, qui s’affirme dès le magistral titre d’ouverture, où les cordes serrent de suite le cœur et instaurent un climat qui imprègne la suite du disque. Ode à la nuit.

La contrebasse jouée pizzicato apporte aussi plusieurs fois cette coloration, en particulier sur le très beau « Emma » qui sent le pas de danse de fin de soirée, en l’agréable compagnie de Jeanne Moreau. L’usage des vents, très discret la plupart du temps, va aussi dans ce sens. Tout comme les mots de Christian, les quelques vocalises que l’on retrouve ici ou là, ainsi que la production de l’album qui est très soignée. Même les quelques titres électriques sont suffisamment tendus et asséchés pour rester dans cette tonalité. « Fulgurance » est très réussi tandis que « J’m’en fous » renoue avec le côté punk des premiers albums, en évitant toutefois de trop allumer la lumière.

La principale limite de cet album, c’est l’absence de chose vraiment grande, au-delà de ce parti pris esthétique. Il n’y a pas à proprement parler de morceau à jeter, même si personnellement « Maquis » me tape un peu sur le système. Les chansons sont agréables, intrigantes, mais pas beaucoup plus. Toujours très travaillées sur la forme, elles n’arrivent pas à former un collectif qui pourrait concurrencer ceux des plus grandes heures. Un manque de profondeur qui les rend pour la plupart effectivement anecdotiques, même si certains éléments suscitent un peu plus d’attention, comme l’urgence de « Pas à pas » ou le final très particulier qui met en musique un message anonyme laissé un jour sur le répondeur de Daniel Mermet.

Dans le fond je n’ai pas grand-chose de plus à dire sur cet album, agréable à écouter, plus consistant qu’un Qu’est-ce qu’on s’fait chier mais somme toute mineur. On peut quand même relever en bon point la volonté de Têtes Raides de proposer un album différent des autres, et même unique à bien des égards, tout en assumant pleinement son identité artistique. A noter que des sessions de cet album a été également tiré un EP, « Les artistes ». Vendu seulement aux concerts du groupe et à la boutique des Chats pelés, il contient cinq titres supplémentaires qui prolongent l’album, sans pour autant que ça en soit plus mémorable, malgré quelques bons passages (en particulier le morceau titre).