En 2015, Kamasi Washington surprenait son monde en sortant un ambitieux triple album de trois heures réparti en trois Cds, judicieusement nommé The Epic. Deux ans plus tard, le voilà qui revient aux affaires, mais cette fois-ci avec un EP de 31 minutes intitulé, vous l'aurez deviné, The Harmony Of Difference.

Un titre qui sonne comme une provocation à l'Amérique Trumpiste, mais aussi comme une affirmation de l'identité du saxophoniste qui revendique autant l'influence des plus grands du jazz que du rap.
Il faut percevoir cet EP non pas comme six chansons distinctes, mais comme une suite constituée de cinq parties s'emboîtant les unes dans les autres avant de culminer dans la dernière partie, une continuité du spiritual jazz initié par son idole John COLTRANE en 1965 sur A Love Supreme et poursuivi, entre autres, par Alice COLTRANE et Pharaoh SANDERS. Alors, le spiritual jazz, c'est quoi ? Pour se moquer, nous pourrions dire qu'il s'agit du jazz des hippies, aux inspirations Orientales et qui veut transcender son auditeur. Un peu prétentieux, certes, mais tant que la musique est bonne.

En vérité, le projet s'étale même en dehors de l'album. A la musique, s'ajoutent les beaux-arts, la sœur de Kamasi WASHINGTON, Amani, ayant créé une série de peintures, qui, superposées, forment un visage. Même principe pour la musique, chacune des cinq premières pistes est une mélodie qui se retrouve mélangée dans le dernier morceau, et qui est accompagnée par un clip vidéo faisant lui aussi partie de l'exhibition. Un projet ambitieux et original donc qui se fait par la musique, la peinture et la pellicule.

« Truth » est donc le cœur de l'album, mais avant d'en parler, commençons par aborder les autres morceaux : « Desire » ouvre l'album et pose sans attendre un hommage/référence à COLTRANE, avec son tempo tiré de A Love Supreme, avec un côté smooth jazz agréable, et enchaîne par une habile transition sur « Humility », deux petites minutes où WASHINGTON se la joue Charles MINGUS au saxophone, mais où l'on peut entendre un big bang improviser comme un quartet. Passons rapidement sur « Knowledge », morceau honnête mais moins intéressant que les autres, pour nous attarder sur « Perspective ». Un début un peu poussif très spirituel, avant une transition groovy presque funk façon Grover WASHINGTON Jr... « Integrity » vient conclure cette première partie sur un rythme Calypso inattendu.
Mais c'est ensuite que commence « Truth ». Au fur et à mesure, les instruments s'ajoutent harmonieusement les uns aux autres. On y retrouve quatre violons, deux violoncelles, deux altos, un chœur de neuf voix, un vibraphone, un flûtiste, et j'en passe... Mais tout cela n'est que bagatelles comparé à la soixantaine de musiciens qui furent nécessaires pour enregistrer The Epic ! Tout au long des treize minutes que dure le morceau, WASHINGTON étaye sa philosophie du contrepoint mais avec beaucoup de cohérence. Le tout fait penser à une bande-son de film hollywoodien épique des années 50. Assez complexe, mais néanmoins accessible, « Truth » reprend les parties individuelles de chaque morceau et les assemble en quelque chose de beau et d'harmonieux qui dépasse les parties : l'Harmonie de la Différence.

Cet EP, c'est donc beaucoup de choses. Une déclaration d'amour à ses inspirations, un acte politique, un acte artistique, un acte spirituel. Mais au-delà de tout cela, c'est avant tout une musique sur laquelle on se laisse doucement porter comme sur le courant lisse d'une rivière. Complexe, mais accessible, c'est la garantie d'un grand moment musical et la certification que Kamasi WASHINGTON est définitivement un des grands noms du jazz de notre époque.