L'annonce d'un album symphonique de Jeremy Soule a été perçue avec un ravissement non feint par une large communauté. Non pas que l'homme n'ait pas déjà un style très fortement symphonique dans ses oeuvres les plus populaires, mais la perspective d'une "vraie" symphonie à part, écrite juste pour le plaisir de la création et la Muse, et pas dictée par un quelconque cahier des charges (nonobstant à la rigueur le principe de 4 mouvements), donnait à saliver aux fans d'un des compositeurs contemporains les plus reconnaissables et admirés. Il est donc un peu dommage que ces Northener Diaries ("le journal de bord d'un Nordique") ne soient qu'agréables et/ou sympathiques, mais à vrai dire, avant de se pencher sur le contenu lui-même, il nous faut revenir sur le contenant qui a tout autant fait parler de lui. Et pas qu'en bien.

Car cette oeuvre, au départ, aurait dû s'intituler Symphonie n°1. Au final, elle est sous-titrée "symphonic sketches", soit "esquisses symphoniques". Pourquoi ce revirement ? Pourquoi ne pas proposer une symphonie complète, intitulée telle quelle et qui sinon achèverait, du moins commencerait à faire de ces pages de partition une Grande Oeuvre ? La réponse se trouve dans la genèse du projet : Jeremy Soule qui annonce l'écriture d'une symphonie, c'est normal, c'était même attendu. Le compositeur de Morrowind, Oblivion et Skyrim, soit trois des jeux vidéos les plus vendus au monde, pensez donc ! Mais le même qui annonce ce projet sous la forme d'un... crowdfunding, là, ça a commencé à tiquer sévère. Le compositeur de... ben de trois des plus grosses ventes de tous les temps, dans un domaine qu'il connaît par coeur, qui ne nécessite a priori pas de ressources exagérées (MOZART faisait-il appel au crowdfunding ? Hein ? ... Hum, son gérant Nicolas vient d'appeler, a priori si...), bref si le monsieur est souvent appelé, parfois à raison, le John WILLIAMS du jeu vidéo, imaginez-vous une seule seconde que John WILLIAMS annonce l'écriture de sa prochaine symphonie sous réserve de crowdfunding ?

Non, évidemment. Le procédé semblait donc déjà suspicieux, mais c'est lorsque plusieurs années plus tard le projet n'avait toujours pas abouti que certains commencèrent à fulminer. Certes, ce n'est pas la première fois qu'un projet de crowdfunding a priori inratable pataugeait dans la boue (coucou la console Vega +), mais si en prime on rajoute une communication de Soule qui parfois rappelait MARILLION dans leurs plus brillantes heures, la grogne monta sévère ; assez pour que le compositeur jette en pâture, en guise de "compensation", ce CD intitulé donc ESQUISSES symphoniques. Et ça porte bien son nom : le disque se compose d'une véritable suite orchestrale de 17 minutes, un "mouvement" donc, et de titres qui semblent parfois des bribes, des brouillons de quelque chose de plus construit.

Donc pas de surprises au niveau du style, ceux qui adorent déjà le style Soule vont forcément aimer, car on y retrouve tous les ingrédients : ces plages calmes, cette sensation de marcher dans la neige (l'univers de Skyrim est toujours très présent, notamment dans le joli titre d'ouverture), il y a quelques plages majestueuses (la première toujours), quelques instruments exotiques ("Utanlands" présentant une sorte de cithare et nous ramenant en Islande ou en Norvège), une vraie qualité d'écriture et d'arrangements, mais aussi, c'est flagrant, une certaine facilité, comme un manque de recherche approfondie, une écriture un peu automatique. Des titres comme "Leikr", extrêmement démonstratif, ne mériteraient effectivement pas de figurer dans la première symphonie d'un compositeur autant attendu au tournant, de même que le gratuit "Freswick", qui d'Islande semble nous ramener vers le sud, en Ecosse (NdPerceval : De toutes façons ces conneries de nord et sud selon comment on est tourné ça change tout !).

Il y a quand même de belles plages : "Bifrost" très court mais exaltant, comme découvrir un nouveau pays après avoir gravi une montagne ; "Jata" et ses grandes plaines printanières avec un mélange de flûte et de (semble-t-il) Erhu, ou le romantique mais retenu "Ek Elska Ik". Même le long titre, la grosse pièce, possède de beaux moments, lorgant parfois vers le côté sensible de feu James HORNER. Mais il y a aussi quelques fautes : l'explosion "à la BEETHOVEN de la neuvième" tombe à plat, et le final, avec l'accord de conclusion que tout le monde attend, donne l'impression d'avoir écouté la fin d'une symphonie qui... n'existe pas. Ce qui est vrai : symphonic SKETCHES. Comme une sorte de méga-démo. Très bien faite, parfois superbe, à la production parfaite (est-ce un vrai orchestre ou des samples ? à la limite peu importe). Mais une démo.

On ne sait donc pas ce qu'il adviendra de ce projet. Est-il définitivement abandonné ? Soule a-t-il été victime de l'angoisse de la page blanche, d'une explosion d'ego, de soucis plus graves, de manipulation, de pressions ? Toujours est-il que si la forme reste magnifique (à part quelques détails, comme les choeurs de "Draumr" qui ont un rendu déstabilisant), le compositeur n'arrive pas à retrouver les moments les plus forts de ses BO qui sont pourtant bien plus délayées dans le temps. Quelle sera sa prochaine étape ? La plus attendue sera évidemment les Elder Scrolls VI, mais la richesse de Skyrim est telle qu'on peut toujours l'attendre, ce sixième volet. Quant aux suites légales de ce projet semi-avorté, ma foi, voilà des considérations qui devraient se tenir bien loin de nos pages...