Cette pochette minimaliste incorporant en gros plan les deux lettres I et F pour IF sous forme de figures métalliques rivetées, le tout sur un fond grisâtre austère ne renseigne guère sur le sujet, mais aura pour mérite d’interroger la critique.

IF se forme en 1969 en Angleterre à l’instigation du saxophoniste flûtiste Dick Morrissey et du guitariste Terry Smith. Morissey n’est pas totalement inconnu. Depuis le début des sixties, il officie au sein de divers petits ensembles de Jazz et de Hard Bop. Son nouvel équipier, après avoir joué au sein du Tony Lee Trio, s’est occupé du Walker Brothers et rejoint le chanteur américain J.J. Jackson enregistrant deux albums. Cette période américaine débouche sur la création d’IF, Morrissey, Smith et le saxophoniste Dave Quincy s’étant connus en accompagnant Jackson. Rapidement, le trio se transforme en septet avec les arrivées de quatre musiciens issus de la scène Jazz anglaise.

Après s’être fait les dents sur les scènes anglaises, If décroche un contrat avec Island Records qui place le groupe sous la houlette du producteur Lew Futterman. Ce dernier connaît bien certains des membres, le producteur ayant longuement collaboré avec JJ Jackson. Futterman n’est pas le premier perdreau de l’année, il a fait ses gammes sur le label Prestige, a produit Brother Jack McDuff, George Benson, Jimmy Witherspoon et bien avant Jay & The Americans. Passionné de Jazz, le producteur est un homme ouvert (on le verra plus tard au côté de Ted NUGENT) et se rend bien compte que les choses changent musicalement. Si en Amérique, BLOOD SWEAT & TEARS ou CHICAGO commencent à se faire un nom, c’est en Angleterre que vont émerger tout un tas de nouvelles formations dans le domaine du Jazz Rock ou Jazz Fusion avec les arrivées de Nucleus, SOFT MACHINE, JETHRO TULL ou HAWKWIND.
IF de par le vécu de ses membres s’engouffre dans la brèche en proposant un répertoire où s’emboîtent plusieurs influences (Jazz, Fusion, Folk Rock Psyché). Enregistré à Londres dans les studios d’Island Record, « If » * propose six titres composés conjointement par différents membres, seul « Raise The Level Of Your Conscious Mind » échappe à leurs plumes. Sur le titre d’ouverture, « I’m Reaching Out On All Sides », la guitare de Terry Smith s’oriente vers une sonorité Everest Sound, un peu à l’image de Steve HILLAGE, mais c’est bien l’assemblage sax, flûte, chant et basse bien ronde qui procure son effet.
Le groupe prend son envol avec « What Did I Say About The Box, Jack? », un long instrumental de plus de huit minutes où les instruments s’emboîtent remarquablement comme les pièces d’un jeu de construction, ne cessant de relancer la machine pour que les partenaires s’envolent à leurs tours. Place à l’improvisation avec « What Can A Friend Say », titre peu chanté à l’orientation plus Free Jazz.
La face B s’ouvre sur une envolée de cuivre (saxophones et flûte) avec « Woman Can You See Me (What The Big Thing Is All About) », titre placé encore une fois sous les hospices d’une improvisation. Les claviers et le chant prennent de l’ampleur sur « Raise The Level Of Your Conscious Mind » mais la mélodie s’avère hélas peu accrocheuse. Même impression avec « Dockland » dont l'atmosphère plus tempérée est portée par les cuivres et quelques notes de guitares flamboyantes au milieu du morceau. Ce premier disque s’achève sur une composition de Dave Quincy, « The Promised Land », (sans lien avec le hit de Chuck Berry) dans laquelle on retient principalement la guitare de Terry Smith. A noter que le duo Babylon (ancien groupe de la chanteuse Carole Grimes) reprendra la chanson en rajoutant juste le mot Into devant le titre.

La sortie de ce disque sans nom est marquée par deux tournées triomphales en Amérique. Le groupe se produit sur la scène du Fillmore East en première partie de BLACK SABBATH, le 10 novembre 1970. Mais à l’instar de nombreuses formations de l’époque, If souffre de changements de line-up récurrents, phénomène ne favorisant pas la cohésion, la complicité ni la création pour un groupe. Ce dernier a toutefois la chance de rebondir et ainsi de retomber plusieurs fois sur ses pattes. Certains membres de la première line-up connaissent par la suite de riches parcours. On retrouve Dick Morrissey**, leader et véritable âme du groupe, aux côtés d’Average White Band, Peter GABRIEL, Alexis Korner, Gary NUMAN et Style Council. Le saxophoniste collabore aussi avec VANGELIS à la bande son du film « Blade Runner ». Le guitariste Terry Smith joue avec Georgie Fame et une multitude d’ensembles de Jazz, rejoint Dave Quincy au sein de Zzebra. Le claviériste John Mealing devient musicien de session, on le retrouve durant les eighties auprès de Style Council et des PET SHOP BOYS. Le batteur Dennis Elliot collabore avec Ian Hunter et intègre FOREIGNER pendant de longues années. Le chanteur JW Hodgkinson poursuit brièvement au sein de ROGUE et se retire des studios dès la fin des années 70.

Ce disque marque les jalons d’un groupe qui deviendra l’un des meilleurs représentants du mouvement Jazz Rock jusqu’au milieu des années 70. Seule une moitié des pistes peut encore attirer l’attention aujourd’hui, d’où une note de 2,5. A noter que la firme américaine Capitol a publié aussitôt le disque avec une pochette identique.

*Album sans titre, ce « If » sera plus tard appelé « If 1 », les disques suivants portant un chiffre.
**Dick Morrissey perd une bataille de dix ans contre diverses formes de cancers. Il décède en 2000 à 60 ans mais reste comme l’un des plus grands saxophonistes anglais, un musicien inventif et novateur ayant contribué à casser de nombreux codes musicaux.

Cette chronique provient des écoutes du vinyle Island (pressage français), du vinyle Capitol (pressage US) et du CD Répertoire de 2006.