Ce troisième album de BIGA RANX marque un léger changement de style et préfigure déjà ce que sera l’énorme 1988 (2017). En effet, alors qu’avec ses deux précédents opus, le tourangeau donnait plutôt dans le reggae digital, porté par des rythmes furieux, il commence là, à se tourner vers un style plus posé où les ambiances envoûtantes prennent le pas sur l’énergie dance-hall.

Il se rapproche de l’esprit rub-a-dub, limite early digital, avec déjà quelques incursion vers le vapor dub.
Entendez par ce charabia, une musique très orientée vers les rythmiques, avec des ridims chaloupés, agrémentée de sonorités modernes. Et, sur certains morceaux l’apparitions d’ambiances vaporeuses. S’il ne fait pas de doute que jusqu'alors le talent du bonhomme était déjà perceptible, ce troisième album est l’occasion pour lui de commencer à se bâtir une identité artistique plus cohérente et plus marquée.
Le travail sur les arrangements et les mélodies se fait clairement ressentir, ce qui nous donne à profiter de morceaux terriblement efficaces. On pense notamment aux excellents "DJ For The Night" et "I Am A MC", qui parviennent à combiner leur aspect dansant avec une ambiance envoutante.

Et si tous les morceaux présents sur Nightbird n’ont pas la même efficacité, on ne peut que constater que le niveau général est assez réjouissant. Epaulé par une pléiade d’artistes, dont beaucoup seront également présents sur 1988, BIGA RANX fait preuve d’un indéniable talent pour ce qui est d’agréger les styles et les ambiances. On retrouve ainsi les légendes jamaïcaines que sont les vétérans U-ROY, U-BROWN, BIG YOUTH sur "Hate". Mais également des représentants des générations plus récentes, comme c’est le cas avec l’ex RAGGASONIC, BIG RED qui apporte son débit en mode rafale sur l’énorme "Sexy". Ou bien la voix tout en douceur de Hollie COOK (la fille de Paul COOK des SEX PISTOL, et accessoirement la filleule de Boy GEORGE) et le prometteur PRENDY sur "Bossman". La performance de ce dernier est marquante, et d’ailleurs BIGA RANX ne s’y trompera pas en laissant encore plus d’espace à celui-ci sur son album suivant.

Mais tout n’est pas parfait, et BIGA RANX n’atteint pas encore le sommet comme il le fera avec 1988.
On peut notamment regretter la présence du remix dispensable de "DJ For The Night" intitulé "Screwed For The Night". Il en va de même avec "Favorite Smuck" qui n’a pas beaucoup plus à proposer qu’un gimmick sonore sympa. Ou encore, avec "Saturday Night" et "Keep On Trying" qui se montrent bien mollassons. Ce Nightbird est encore l’occasion pour BIGA RANX de visiter différents sous-styles du reggae digital, et il le fait en sans donner le sentiment de s’éparpiller. On sent réellement poindre une identité artistique qui fait que nous avons bien là un album, et pas seulement un recueil de titres émancipés les uns des autres. Le fait qu’il utilise, de manière encore un peu timide, le français sur quelques morceaux, contribue d’ailleurs à renforcer cette personnalité. En certaines occasions, sa voix est si travaillée que l’on peine parfois à reconnaître la langue de Molière.

Si Nightbird est un bon album, il peut rétrospectivement être considéré comme une « ébauche » de 1988, ou tout au moins un passage indispensable qui permettra à BIGA RANX d’affiner son style et son orientation artistique pour parvenir au petit bijou qu’est 1988.