Avignon, été 2003, je me ballade au Virgin. Le paradis de la musique, pour moi, qui ne connaît dans sa ville que deux ou trois disquaires. Je me rends compte à présent que c’était déjà beaucoup. Tous ferment leur porte à présent. La faute à qui ? On le sait bien.

Fin de la digression.

Je tombe alors sur un CD à la jaquette au combien affriolante, un monsieur tout nu. Il a la cigarette à la bouche, la posture ambiguë et le regard aguicheur. KATERINE. J’en ai déjà entendu parlé, pour son fameux « Je Vous Emmerde » (et aussi parce que ce salaud est le compagnon d’Helena Noguerra). Je scrute la playlist et – oh joie ! -, j’y trouve bien le titre évoqué. Ni une ni deux, je l’emporte vers la caisse avec le Satie et la BO de Nightmare Before Christmas sous le bras. Dans la voiture, mes parents intrigués par cette pochette équivoque (comprenez : inquiets que leur fils ait acheté cette chose), proposent de mettre le CD dans la fente intégrée et écoutent. Pas longtemps. La musique est bientôt couverte par des éclats de rire. C’est une blague ? Il fait exprès ? Et mon père : poète ! (la pire des insultes pour lui). Et moi ?

Moi j’adhère, je trouve ça surprenant, cette voix, langoureuse, charmeuse, ironique, cette voix de dandy. J’écouterai le reste seul dans ma chambre, sans personne pour m’interrompre. Au passage, je n’en veux pas spécialement à mes parents, ni à ceux qui se moquent. Parce je les comprends. Katerine, c’est barré, c’est, assez souvent je pense, écrit soit bourré, soit à moitié réveillé. Pas dans un état normal non, un état d’abandon sûrement, sans se soucier si les autres comprendront (y a t-il quelque chose à comprendre d’ailleurs ?), et pas spécialement pour les autres, en tout cas, ce n’est pas le but premier. Le but premier, c’est de produire de la musique et des mots. De vomir tout ce qu’il y a dans sa tête, piocher dans la case conscience autant que dans la case inconscience. Katerine nu. Katerine qui se met à nu. On y revient. Katerine qui a déclaré un jour dans une interview qu’il ne comprenait pas très bien ce qu’il écrivait.

Moi non plus. J’essaie de trouver, relier les infos entre elles ; voir dans Combien d’hommes ? une thèse aussi provocatrice que pertinente : le dénominateur commun à tous les hommes c’est la branlette. Vivre L’appartement comme ce que j’imagine a ressenti le dandy à un moment de sa vie : la joie de la solitude dans une grande ville. Considérer Poulet N. 728120 (le zouave est obnubilé par les chiffres) comme une des plus belles odes, non pas à l’amour (trop facile), mais au plaisir, à la joie que peuvent nous apporter des choses en apparence si futiles. Pour moi, ce double est un recueil de pensées, de la plus enfouie à la plus primaire (quand on fait parler son inconscient, on parle souvent de cul). C’est aussi un extrait de vie, la vie d’un dandy, seul, à Paris la capitale.

Curieusement, cet album n’est pas triste, ni même mélancolique. Cette vie de solitude n’est pas vécue comme un drame, mais comme une chance. La chance de pouvoir se plonger dans soi-même, de vivre des choses merveilleuses dans sa tête et avec sa guitare, dans un appartement qu’on imagine petit. Sentiment que l’on éprouve d’autant plus avec le second CD L’homme à 3 mains, et pour cause, cette partie a été jouée, chantée, et enregistrée intégralement par le vendéen seul, au 60 boulevard de Clichy, dans le 18eme, chez lui, et avec pour seul compagnon une guitare sèche, pas forcément très accordée. Un homme nu dans son appartement (oui, je la réutilises celle-là, parce qu’elle est facile et que ce n’est que ma première chronique).

Pour le premier CD Les créatures, The Recyclers ont rejoint Katerine et cette première partie contraste singulièrement avec la seconde par la présence de nombreux cuivres, samples de films (l’homme nu est cinéphile, ce qui explique qu’il reprenne "Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerais toujours, oh mon amour" tirée du film Pierrot Le Fou) et autres cordes.
Après tout peu importe, que ce soit avec un orchestre ou avec une guitare pour tout accompagnement, Katerine reste le même, un poète. Mon poète préféré.