Les musiciens professionnels ont en général deux grands problèmes : comment faire un album génial et que faire après l’avoir fait ? C’est cette deuxième question que se posa le quartet de Dave BRUBECK en cette année 1961 alors que le monde se remet encore du choc Time Out ! sorti en 1959. En vérité la réponse à cette épineuse question leur vint rapidement. La meilleure chose après Time Out ! était de continuer sur la même lancée, même si ces boulimiques de travail avaient déjà sorti cinq albums entre les deux.

Et dès la pochette, l’auditeur apprend tout ce qu’il y à savoir sur le disque, comme une carte de visite : Nous sommes face à un album du Dave Brubeck Quartet dans sa forme classique, qui consiste en Dave BRUBECK au piano, Paul DESMOND au saxophone, Eugene WRIGHT à la contrebasse et Joe MORELLO à la batterie. Le titre nous apprend qu’il s’agit d’une suite à son prédécesseur, et le tableau d’art contemporain de Joan MIRO choisi pour figurer sur la pochette sous-entend que la musique sera aussi moderne. Mais surtout, petit détail caché, les chiffres apparaissant en haut à droite du tableau ont inspirés Dave Brubeck pour la mesure des morceaux.

Sur Time Out ! Brubeck avait joué avec les mesures des morceaux en adoptant des rythmiques inhabituelles dans le jazz. Il continue ici ses explorations en suivant les chiffres déjà mentionnés auparavant sur le tableau de couverture. Ainsi, les deux premiers morceaux du disque, « It’s a Raggy Waltz » et « Bluette » sont composés que « My Favorite Things » de John COLTRANE, alors que « Far More Blues » et « Far More Drums » sont écrites avec une mesure à 5 temps (en guise d’exemple, cette mesure a été utilisée entre autres par John CARPENTER pour le thème d’Halloween, Lalo SCHIFFRIN pour celui de Mission Impossible ou les BEATLES sur « Within You Without You »).

Mais si comme moi vous n’entendez rien à l’aspect technique de la musique, toutes ces histoires de mesures ne vous feront ni chaud ni froid. Pour nous autres, Time Further Out est surtout l’album du deuxième meilleur morceau de Dave Brubeck après « Take Five » : « Unsquare Dance ». Si vous ne connaissez pas ce morceau, arrêtez tout de suite la lecture de cette chronique et prenez deux minutes, la durée du morceau, pour découvrir ce petit bijou. D'apparence simple avec ses battements de pieds et ses claquements de doigts qui donnent envie de se mettre aux claquettes, le morceau est en réalité très technique, en particulier vers la fin, au point que l’on peut entendre dans la conclusion du morceau le batteur Joe Morello lâcher un rire de soulagement d’avoir réussi à finir à le jouer.

Mais là où Time Out ! ne proposait que peu de morceaux mais prenait son temps pour en développer l’exploration, Time Further Out nous en offre plus pour moins. Il y a plus de morceaux mais ils sont plus courts, excédant rarement les six minutes et faisant plutôt office de courtes vignettes. C’est parfois frustrant comme sur « Charles Matthew Hallelujah », dédié au fils de Brubeck, qui s’arrête trop tôt. A vouloir jouer la technicité, le groupe perd parfois le feeling so jazzy inhérent à Time Out ! là où les deux coexistaient en toute harmonie.

Ne laissez pas ces deux défauts vous rebuter d’écouter Time Further Out. C’est une suite tout à fait honorable qui contient quelques moments de bravoure et parvient à garder ses auditeurs accrochés à leur casque jusqu’à la dernière note.